21 juillet 2008

Charles Bukowski, sur les écrivains

« Les écrivains posent un problème. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend comme des petits pains, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend moyennement, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend très mal, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit n'est jamais publié et qu'il n'a pas assez d'argent pour s'éditer à compte d'auteur, alors il se dit qu'il est vraiment génial. En fait, la vérité est qu'il y a très peu de génies. Le génie n'existe quasiment pas, il reste invisible. Mais vous pouvez être assuré que les pires gratte-papier ont une confiance inébranlable en eux-mêmes. Bref, les écrivains sont une race à éviter, mais j'avais beau essayer de les éviter, c'était presque impossible. Ils comptaient sur une sorte de fraternité, de connivence. Ni l'une ni l'autre n'étaient utiles devant la machine à écrire. »

Women, de Charles Bukowski (1978) ; traduction de Brice Matthieussent.

17 juillet 2008

Neige sur Beverly Hills (1987)

Une adaptation libre du premier roman de Bret Easton Ellis (Moins que zéro), c'est de cette manière qu'il faut aborder ce film lorsque l'on a déjà lu le bouquin. Et c'est finalement une assez bonne chose, car le résultat est assez surprenant, et plutôt convaincant. Une interprétation remarquable (notamment Robert Downey Jr, en junkie au bord du précipice), une histoire un peu édulcorée en comparaison du texte original, débarrassée d'une partie de son aspect glauque pour se focaliser sur son ressort dramatique et sur les liens qui unissent les personnages. Neige sur Beverly Hills reprend les grandes lignes du roman (du souvenir que j'en garde en tout cas, et qui commence à ne plus être très frais dans ma tête...), la décadence d'une jeunesse friquée qui ne trouve plus l'excitation que dans sa propre autodestruction. Le climat a su conserver une partie de la noirceur de l'univers d'Ellis, tout en l'allégeant de détails pas vraiment indispensables ; en gros, c'est du Ellis à la sauce Hollywoodienne, mais sans ses excès. Pas de happy end lourdingue, pas de plan balisé éculé qu'on serait capable de deviner dès les premiers instants, pas trop de bons sentiments non plus. Juste l'histoire touchante d'adolescents livrés à eux-mêmes et complètement paumés.

Titre original : Less than zero
Réalisateur : Marek Kanievska
Interprètes : Robert Downey Jr., Andrew McCarthy, Jami Gertz, James Spader...

Paul MORAND : L'homme pressé

Cet espace commence à sérieusement prendre la poussière, et ça n'est pas en commentant un roman de 1941 que je vais le dépoussiérer. Encore que, Paul Morand était plutôt visionnaire en dépeignant ce portrait si proche de l'homme moderne tel qu'on le connait aujourd'hui, 60 ans plus tard. L'homme pressé se prénomme Pierre, il n'est pas encore affublé de l'attirail de l'humain version 21ème siècle, et ne dispose pas encore de sa technologie asservissante, mais il en présente tous les stigmates : incapable de tenir en place, cherchant à occuper la moindre seconde de son temps, à précipiter les évènements (jusqu'à la naissance de son enfant pour lequel il ne conçoit de patienter 9 mois), l'homme pressé use ses proches un à un et se retrouve seul pour son grand rendez-vous avec la mort.

A travers le portrait caricatural d'un seul homme, Morand critique manifestement l'évolution de toute la société. Le trait est un peu poussé dans ses retranchements et le style est parfois un peu académique (quoi de plus normal pour un académicien...), mais Morand sait souvent se montrer tranchant, dans le portrait qu'il dresse de ses personnages et qui une fois encore ont un peu valeur universelle quant au comportement humain en général. L'égoïsme outrancier de la belle mère de Pierre Niox peut aisément s'appliquer à bien des gens en le nuançant à peine :

"(...) Jeunes et superbes, ces trois filles travaillaient et n'avaient pas trop de vingt-quatre heures pour bénir leur mère de les avoir élevées sans soins, sans religion, sans dot et presque sans y penser. Mais si l'une d'elle avait un malaise ou un chagrin, il lui suffisait d'entrer dans la chambre de Mamicha pour retrouver la paix et la santé. Comme une idole miraculeuse, Mamicha recevait tout, ne donnait rien, mais guérissait. (...)"

La stupidité de l'oncle d'Edwige, la femme de Niox, reflète également bien des conversations de café du commerce où chacun se doit toujours d'avoir un avis sur tout :

"(...) A part cela, il était de l'immense troupeau des imbéciles qui, d'une voix coagulée, rendent leur journal après l'avoir mangé. (...)"

 Bien que son style paraisse parfois un peu guindé, Morand laisse aussi échapper quelques traits d'humour assez piquants :

"(...) C'était une femme de quarante-huit ans qui, les jours où elle faisait toilette et se peinturait en blanc, arrivait à n'en paraître que soixante (...)"

 Mais c'est encore dans ses réflexions plus philosophiques qu'il se montre le plus cinglant :

"(...) L'enfant encore invisible est sans cesse présent entre eux ; expression de cet impérialisme du moi inconscient et forcené qui nous pousse à toujours étendre nos frontières de chair, il exalte Pierre, excite son impatience passionnée. (...)"
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