28 avril 2008

Céline et la philosophie...

« (...) j'ai pas d'idées moi ! aucune ! et je trouve rien de plus vulgaire, de plus commun, de plus dégoûtant que les idées ! les bibliothèques en sont pleines ! et les terrasses de café !... tous les impuissants regorgent d'idées !... et les philosophes !... c'est leur industrie les idées !... ils esbroufent la jeunesse avec ! ils la maquereautent !... la jeunesse est prête vous le savez à avaler n'importe quoi... à trouver tout : formidââââble ! s'ils l'ont commode donc les maquereaux ! le temps passionné de la jeunesse passe à bander et à se gargariser d' "idéass" ! ... de philosophies, pour mieux dire !... oui, de philosophies, Monsieur !... la jeunesse aime l'imposture comme les jeunes chiens aiment les bouts de bois, soi-disant os, qu'on leur balance, qu'ils courent après ! ils se précipitent, ils aboyent, ils perdent leur temps, c'est le principal ! aussi, voyez tous les farceurs pas arrêter de faire joujou avec la jeunesse... de lui lancer plein de bouts de bois creux, philosophiques... si elle s'époumone, la jeunesse !... et si elle biche !... qu'elle est reconnaissante !... ils savent ce qu'il faut, les maquereaux ! des idéâs !... et encore plus d'idéâs ! des synthèses ! et des mutations cérébrales !... au porto ! au porto, toujours ! logistique ! formidââââble !... plus que c'est creux, plus la jeunesse avale tout ! bouffe tout ! tout ce qu'elle trouve dans les bouts de bois creux... idéââs !...  joujoux !... (...) »

Extrait des Entretiens avec le Professeur Y de Louis-Ferdinand Céline (1955).

6 avril 2008

Charles Bukowski, sur l'humanité

« Mon bureau s'ouvre sur un petit balcon, et par sa porte vitrée je peux voir les lumières des voitures sur l'autoroute du Port, jamais elles ne s'éteignent, long ruban incandescent, sans début ni fin. Toute cette humanité en marche ! Vers où se dirige-t-elle ? Que pense-t-elle ? Ne sait-elle pas que nous courons tous à la mort ? Quelle mauvaise farce ! Voilà qui devrait nous faire aimer notre prochain, mais, non, on s'y refuse. Les banalités quotidiennes nous accablent et nous terrorisent, et le néant nous dévore. »

Extrait du journal intime Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau de Charles Bukowski (traduction de Gérard Guégan).

R.M. UTLEY et W.E. WASHBURN : Guerres indiennes

Pour qui s'intéresse à la vie et l'Histoire des Indiens d'Amérique, la collection Terre Indienne des éditions Albin Michel est une mine d'or. Les ouvrages sont nombreux, certains très spécialisés, d'autres plus généralistes, comme ce Guerres Indiennes qui entreprend de résumer l'histoire du continent nord-américain depuis l'arrivée des premiers colons au XVIIème siècle (quelques passages reviennent même  sur des faits antérieurs, notamment les expéditions de Christophe Colomb). En moins de 300 pages, les auteurs ont donc cherché à couvrir près de trois siècles d'affrontements, depuis le débarquement du Mayflower en 1620 jusqu'au massacre de Wounded Knee en 1890. On découvre petit à petit les différentes tribus qui se sont opposé à l'invasion des colons, les auteurs tentent de nous éclairer sur les contextes avec le plus de précision possible.

Bien que prenant plutôt le parti de la cause indienne, l'ouvrage nous épargne l'écueil du manichéisme outrancier, en tentant de cerner le caractère des principaux acteurs de ces conflits, d'un côté comme de l'autre. Côté blanc, le livre dresse le portrait de quelques hommes à la morale moins aléatoire que la plupart de leurs semblables à l'égard des autochtones (comme le commerçant irlandais William Johnson qui portait un regard très critique sur le comportement des colons dès le milieu du XVIIIème siècle, ou le marquis de Montcalm décrit comme un homme de parole respectueux de ses alliés indiens et respectés d'eux), mais cette noblesse d'esprit était loin d'être majoritaire, comme on peut se l'imaginer.

Les auteurs égratignent par ailleurs quelques légendes, comme le futur premier président George Washington, décrit dans sa jeunesse comme un homme assez inconséquent (voire carrément imbécile, au point d'être subjugué par le sifflement des balles sur un champ de bataille, qu'il trouva "charmant") ; autre légende mise en valeur dans la culture populaire, Davy Crockett, qui n'était semble-t-il qu'une crapule sanguinaire de plus.

Le livre tend également à discerner deux approches différentes selon l'origine des colons : celle des Anglais, pleins de méfiance et de mépris à l'égard des Indiens qu'ils ont toujours considéré comme des êtres inférieurs, et à contrario, celle des Français, dépeints par les auteurs comme des gens plus amicaux, cherchant plus à se mêler aux tribus, allant bien souvent jusqu'à épouser des femmes indiennes.

Et puis, bien sûr, ce livre est l'occasion de dresser les portraits des grands chefs indiens, ceux dont chacun a déjà entendu parler, les légendaires Sioux Crazy Horse et Sitting Bull, les Apaches Cochise et Geronimo, etc... Mais aussi les moins connus du grand public, qui ont pourtant joué un rôle aussi important, comme Tecumseh de la tribu Shawnee, ou Pontiac, chef des Ottawas. La plupart d'entre eux semblaient à l'origine plutôt bien disposés à l'égard des Blancs, mais le comportement toujours plus conquérant de ces derniers - qui revenaient sur leurs engagements à mesure qu'on découvrait de nouvelles richesses à l'ouest - les contraignit vite à revoir leur jugement.

Bien évidemment, le livre s'attarde aussi sur les batailles qui ont accompagné l'expansion de la colonisation au fil des décennies, pour aboutir à la ségrégation que chacun sait par la création des réserves où la misère et les maladies finiront d'asservir les survivants de cet interminable conflit dont bien des éléments présentent quelques analogies troublantes avec la Shoah. A commencer par la déportation de la tribu Cherokee pourtant parfaitement intégrée au projet de société des colons (à cette époque, les Cherokees vivaient à la manière des Blancs, et en paix avec eux), avec le sombre épisode de la Piste des Larmes (en anglais : the Trail of Tears), un exode imposé par le gouvernement américain pour s'approprier leurs terres, assorti de milliers de morts chez les Cherokees durant leur périple de 2000 kilomètres. De quoi se demander une nouvelle fois de quel côté étaient réellement les sauvages.
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