27 juillet 2012

Marcel Aymé, sur le mariage


« J'ai appris, je ne sais plus où, le mariage de J. Hackin, mais je ne sais plus contre qui. »

Marcel Aymé, extrait de sa correspondance citée dans le recueil L'art d'Aymé ; édition établie par Pierre Chalmin, Le cherche midi (2004).

26 juillet 2012

Antoine Blondin, sur l'existence


« (...) Sartre a raison : exister, c'est d'abord être de trop, absolument pas nécessaire, gratuit et absurde... (...) »

Antoine Blondin, Monsieur Jadis ou l'école du soir (1970) ; Gallimard

25 juillet 2012

Philippe Muray, sur la musique


« (...) Je me souviens de ce qu'écrivait Nietzsche, que l'existence privée de musique est une erreur et un exil ; mais chaque fois qu'un type, à dix immeubles de moi, pousse dans le rouge son matériel hi-fi pour me faire partager ses goûts, pour me faire participer à sa torpeur, pour me mettre à l'unisson, chaque fois que des amplis hurlants me visent avec beaucoup plus de précision que des Scuds, je me demande si Nietzsche, à ma place, resterait sur ses positions de 1888.
Une espèce de marée noire musicale beurre aujourd'hui les rives du monde. Tous les jours, des gens qui ne toléreraient pas que vous leur fumiez sous les narines vous soufflent leurs préférences aux oreilles. Les cordicolâtres sont des mélomanes infatigables. Il n'existe plus d'autre musique que la musique à écouter en groupe ; mais ne pas souhaiter l'entendre n'est nullement prévu au programme, ce serait comme de ne pas désirer ceux qui l'offrent à la cantonade. Batteries barbares. Synthés. Larsen tueurs. Compact-disques à guidage terminal. Leurs baffles sont des armes « propres ».
C'est bien commode, la musique, pour achever de vous convertir. C'est admirablement conçu pour vous rendre cool, sympa, communautaire, harmonique. Ça efface toutes les ombres et les critiques. Ça noie bien des réticences sous les émois pasteurisés. Ça fait passer bien des forfaits aussi. Le gros général américain dont j'aime mieux ne pas rappeler le nom s'endormait chaque nuit, dans le désert d'Arabie Saoudite, au son terriblement new age de gazouillis d'oiseaux qu'on lui avait enregistrés sur cassette. (...) »

Philippe Muray, L'Empire du Bien (1991) ; éditions Les Belles Lettres.

12 juillet 2012

Chamfort, sur l'opinion publique


« Il y a des siècles où l'opinion publique est la plus mauvaise des opinions. »

Nicolas de Chamfort, maxime n°92 des Maximes et pensées, caractères et anecdotes (première publication en 1796).

10 juillet 2012

Pio Baroja, sur l'écriture autobiographique


« (...) Ces feuillets sont comme une manifestation spontanée. Sincères ? Absolument sincères ? Ce n'est pas très probable. Instinctivement, lorsqu'on se place devant un photographe, on feint et on se compose le visage, lorsqu'on parle de soi-même, on feint également.
Dans un travail aussi court, l'auteur peut juger par le masque et par l'expression. Dans l’œuvre toute entière, qui lorsqu'elle vaut quelque chose, est une longue autobiographie, la dissimulation est impossible, car là où l'homme l'a voulu le moins, il s'est révélé. »

Pio Baroja, Mes paradoxes et moi (1917) ; traduit de l'espagnol par Georges Pillement pour les éditions J. Susse (1945).

9 juillet 2012

Louis-Ferdinand Céline, sur l'amour en littérature


« (…) C'est en écrivant d'Amour à perte d'âme, en vocabulant sur mille tons d'Amour, qu'ils s'estiment sauvés... Mais voici précisément, canailles ! le mot d'infamie ! le rance des étables, le vocable le plus lourd d'abjection qu'il soit !... l'immondice maléfique ! le mot le plus puant, obscène, glaireux, du dictionnaire ! avec « cœur ! ». Je l'oubliais cet autre renvoi visqueux ! La marque d'une bassesse intime, d'une impudeur, d'une insensibilité de vache vautrée, irrévocable, pour litières artistico-merdeuses extraordinairement infamantes... Chaque lettre de chacun de ces mots suaves pèse sa bonne demie-tonne de chiasse exquise... Tous les jurys Feminas s'en dégustent, ne respirent que par ces étrons, à longueur de pâmoison, s'en ravissent intimement, festoyeusement « tout à la merde », s'en affriolent en sonnets, pellicules, conférences, mille tartines et téléphones et doux billets... (...) »

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre (1937).

8 juillet 2012

Louis-Ferdinand CÉLINE : Bagatelles pour un massacre

La question revient constamment : faut-il rééditer les pamphlets de Céline ? Abjects pour les uns, indissociables de l’œuvre de l'écrivain pour les autres, le seul point qui ne semble jamais contesté, c'est la qualité purement littéraire de ces textes. Le sujet est toutefois rarement évoqué, ce qui n'a rien d'étonnant au fond, car les premiers ne les ont généralement pas lus et les seconds se gardent bien d'alimenter la polémique, qui comme nous l'avons encore constaté l'an dernier, n'a pas besoin de grand-chose pour prendre des proportions insensées et réveiller de vieilles haines qui n'ont rien à envier à celle qu'on condamne si implacablement chez Céline.

Et pourtant, la question se pose pour qui admire l’œuvre de l'écrivain. Que valent ces pamphlets dont tout le monde parle encore trois quarts de siècle après leur publication ?

Il semble vain de chercher à comprendre les raisons qui ont amené Céline à manifester de manière si obsessionnelle son hostilité à toute une communauté, de la même manière qu'il est absurde, à mon sens, de porter un jugement moral à ses propos 75 ans plus tard. Il suffit de lire les critiques de l'époque pour constater que l'antisémitisme était pour la plupart des contemporains de Céline un courant de pensée aussi défendable qu'un autre, et qu'exprimer son hostilité aux Juifs dans les années 30 était même un exercice littéraire comme un autre (Jouhandeau, Bernanos, et combien d'autres ?).

On résume d'ailleurs de manière trop réductrice Bagatelles pour un massacre à son contenu antisémite. Il est évidemment indéniable, et omniprésent, il est exprimé avec une extrême véhémence, mais on ne peut pas non plus négliger la part de cocasserie dans l'invective, dans son outrance, et son caractère obsessionnel qui firent d'ailleurs penser à certains de ses contemporains dont André Gide que le propos ne pouvait être pris au sérieux. L'image que Céline donne de lui-même à travers les commentaires de ses amis renferme de plus une indéniable dimension loufoque.

Bagatelles pour un massacre n'est au fond pas si différent des romans de Céline du point de vue de sa construction. L'écrivain assène certes ses vérités et, comme l'ont fait remarquer certains critiques à l'époque, exploite sans scrupule des statistiques et des sources fantaisistes (comme le texte apocryphe des « Protocoles des Sages de Sion » qu'il cite à l'envi), mais il se met également en scène, lui et son entourage. Autrement dit, Bagatelles pour un massacre tient bien autant du roman que du pamphlet.

Si la cible principale des attaques de Céline est évidemment la communauté juive (et toutes les élites qu'il désigne comme « enjuivées »), à qui il reproche racisme, manipulations, sectarisme, hégémonie, mais aussi, et plus personnellement, d'être les responsables de l'éreintement de ses derniers travaux, Céline s'attaque presque autant au Français moyen, qu'il désigne comme cocu heureux de la Nation, ivrogne et parfaitement abruti par les faiseurs d'opinion qui le dominent. 

« (…) Les peuples toujours idolâtrent la merde, que ce soit en musique, en peinture, en phrases, à la guerre ou sur les tréteaux. L'imposture est la déesse des foules. Si j'étais né dictateur (à Dieu ne plaise) il se passerait de drôles de choses. Je sais moi, ce qu'il a besoin le peuple, c'est pas d'une Révolution, c'est pas de dix Révolutions... Ce qu'il a besoin, c'est qu'on le foute pendant dix ans au silence et à l'eau ! qu'il dégorge tout le trop d'alcool qu'il a bu depuis 93 et les mots qu'il a entendus... Tel quel il est irrémédiable ! Il est tellement farci d'ordures maçonniques et de vinasse, il a les tripes en tel état d'enjuivement et de cirrhose qu'il croule en loques dans les chiots juifs à la poussée des hauts parleurs. (...) »

« (…) La dictature des larves est la plus étouffante, la plus soupçonneuse de toutes. Du moment où elles gouvernent tout peut se violer, s'engluer, se travestir, se trafiquer, se détruire, se prostituer... N'importe quelle croulante charognerie peut devenir à l'instant l'objet d'un culte, déclencher des typhons d'enthousiasme, ce n'est plus qu'une banale question de publicité, faible ou forte, de presse, de radio, c'est à dire, en définitive, de politique et d'or, donc de juiverie. (...) »

Mais à résumer ce livre à un déversement d'ordures, on passe à côté de ce qui me semble l'une des qualités majeures de l'ouvrage, outre son style : l'analyse que fait Céline de la décadence du monde moderne.

Les mythes contemporains sont piétinés : en revenant dans le détail sur son voyage en U.R.S.S., Céline éreinte l'utopie communiste plus copieusement encore qu'il ne l'avait fait dans Mea Culpa  ; la littérature en prend également pour son grade, de même que la critique, ou encore le cinéma et ses acteurs, que Céline estime en partie responsables de l'abrutissement des peuples, en ceci qu'il les juge porteurs de l'idéologie dominante, de ce mode de pensée grâce auquel les plus improbables aberrations sont systématiquement validées par le plus grand nombre.

« (…) Les critiques, surtout en France, ils sont bien trop vaniteux pour jamais parler que de leur magnifique soi-même. Ils parlent jamais du sujet. D'abord ils sont bien trop cons. Ils savent même pas de quoi il s'agit. C'est un spectacle de grande lâcheté que de les voir, ces écoeurants, se mettre en branle, s'offrir une poigne bien sournoise à votre bonne santé, profiter de votre pauvre ouvrage, pour se faire reluire, paonner pour l'auditoire, camouflés, soi-disant « critiques » ! Les torves fumiers ! C'est un vice ! Ils peuvent jouir qu'en dégueulant, qu'en venant au renard sur vos pages. J'en connais qui sont écrivains et puis millionnaire, ils sortent exprès de leurs rubriques pour se filer un rassis, chaque fois que je publie un ouvrage. C'est la consolation de leurs vies... des humiliations de profondeur, des « inferiority-complex », comme ça s'intitule en jargon. (...) »

« (…) Il n'est pas inutile de revenir sur ce sujet. Nous disions qu'au départ, tout article à « standardiser » : vedette, écrivain, musicien, politicien, soutien-gorge, cosmétique, purgatif, doit être essentiellement, avant tout, typiquement médiocre. Condition absolue. Pour s'imposer au goût, à l'admiration des foules les plus abruties, des spectateurs, des électeurs les plus mélasseux, des plus stupides avaleurs de sornettes, des plus cons jobardeurs frénétiques du Progrès, l'article à lancer doit être encore plus con, plus méprisable qu'eux tous à la fois. Cette espèce de crétins scientificolâtres, matérialistiques, « cosy-cornériens », prolifie, pullule depuis la Renaissance... Ils se feraient tuer pour le Palais de la Découverte. Quant aux productions littéraires « standadisables », désirées par ces néo-brutes, pires, bien moins artistes (mille preuves) que les Cromagnons, les « chefs-d’œuvre » anglo-saxons modernes en représentent assez bien l'atterrant niveau. Qu'est-il de plus abusif en fait de prédicante connerie, à part les films, qu'un roman anglais très prétentieusement littéraire, dans le genre de Lawrence ? ou tout autre genre ?... Hardy, Chesterton, Lewis, et la suite ? Je vous le demande ?... De plus fabriqué, de plus vain, bêtement bêlant ?... de plus sottement vicelard ? gaffeusement « tranche de vie » ? cahotique par impuissance, que les Dos-Passos, les Faulkner, les Cohen et complices ?... Fadasseries « montées force », outrances gratuites « montées délires », ressassage de nos plus désuets naturalistes, des plus cartonnées, des plus éculées « mea âneries », resservies, travesties, « sauce gangster » ?... encore et encore... (...) »

« (…) En définitive, c'est simple pour drainer la sueur et le sang du peuple, les Soviets chéris c'est les pires, les plus intraitables des patrons, les plus diaboliques, les plus acharnés des suceurs !... Les plus ravageurs exploitants... Je dis diaboliques, parce qu'ils ont en plus des autres, des idées de supercharognes. Ils font crever pertinemment leur peuple... leur peuple « rédempté », de toute cette abracadabrante misère, par pur calcul et système... Préméditée manigance. Ils savent très bien ce qu'ils font !... Décerveler, affamer, annihiler, broyer, le peuple chéri !... le pétrir toujours davantage ! jusqu'aux ultimes bribes de vertèbres, jusqu'au plus intime des fibres ! l'imbiber d'angoisse, qu'il en dégorge !... l'avoir infiniment en poigne comme une lavette toute consentante à n'importe quelle destinée... (...) »

Alors pamphlet ou roman, peu nous importe. A sa sortie, Céline définissait ce livre comme un « exercice », et si on peut reconnaître une chose à l'écrivain, c'est sa constance, car depuis la publication de ces Bagatelles et jusqu'à sa mort, Céline n'a jamais dévié dans l'explication qu'il donnait à ses motivations ; ses outrances, sa violence, son engagement, visaient le même but à ses yeux : s'opposer à l'effroyable conflit qui se préparait, « retarder les préparatifs de guerre », tout en admettant dès 1938 que « cela ne retarderait pas la guerre d'une minute, et que probablement elle n'en aurait lieu que plus tôt » (Cahiers Céline 7, p.47). Un baroud qui devint vite pour l'écrivain celui du déshonneur, et pour longtemps encore au regard des innombrables procureurs de l'Histoire, inlassables garants de la morale, du moins chez les autres.

« (…) Moi j'ai jamais voté de ma vie !... Ma carte elle doit y être encore à la Mairie du « deuxième »... J'ai toujours su et compris que les cons sont la majorité, que c'est donc bien forcé qu'ils gagnent !... Pourquoi je me dérangerais dès lors ? Tout est entendu d'avance... Jamais j'ai signé de manifeste... pour les martyrs de ceci... les torturés de par là... Vous pouvez être bien tranquilles... c'est toujours d'un Juif qu'il s'agit... d'un comité youtre ou maçon... Si c'était moi, le « torturé » pauvre simple con d'indigène français... personne pleurerait sur mon sort... Il circulerait pas de manifeste pour sauver mes os... d'un bout à l'autre de la planète... Tout le monde, au contraire, serait content... mes frères de race, les tout premiers... et puis les Juifs tous en chœur... « Ah ! qu'il s'écrieraient, dis-donc ! Ils ont eu joliment raison de le faire aux pattes le Ferdinand.. C'était qu'un sale truand vicieux, un sale hystérique emmerdeur... Faut plus jamais qu'il sorte de caisse... ce foutu vociférant. Et puis qu'il crève au plus vite !... » Voilà ce qu'on dirait pour ma pomme... le genre de chagrin éprouvé... Moi je suis bien renseigné... alors j'adhère jamais rien... ni aux radiscots... ni aux colonels... ni aux doriotants... ni aux « Sciences Christians », ni aux francs-maçons ces boys-scouts de l'ombre, ni aux enfants de Garches, ni aux fils de Pantin, à rien !... J'adhère à moi-même, tant que je peux... C'est déjà bien mal commode par les temps qui courent. Quand on se met avec les Juifs, c'est eux qui revendiquent tout l'avantage, toute la pitié, tout le bénéfice ; c'est leur race, ils prennent tout, ils rendent rien. (...) »

« (…) Les idées, les apostrophes les plus huppées, fringantes doctrines, ne servent, c'est prouvé, jamais, en définitive, qu'à s'arracher les esclaves, éberlués devant les baraques, transis d'avoir à choisir parmi les violentes distractions, les gueules ouvertes... Qui monte la plus belle entourloupe dans la foire du monde, prendra le plus de foule dans ses planches. Tout le monde entrera... Que tout le monde, que le trèpe fonce, se précipite ! Vous ne savez pas tous, figures, comme dehors vous êtes malheureux ! Les gonds pivotent, les chaînes retombent, le tour est joué... Salut vilains zoizeaux !... En revoilà pour trois,... quatre siècles,... dix, vingt... d'après la force des cloisons. Tel maître aussi fumier qu'un autre, tous aussi menteurs, fourbes, hystériques et lâches... Plus ou moins sadiques. Mais ils croissent en charognerie à la mesure des expériences... Ils profitent, s'instruisent... comparent... (...) »

« (…) Ceux qui brûlant de foi et d'apostolisme soviétique ne sont pas à l'heure actuelle en tranchées devant Madrid ou Saragosse, ne sont au fond que d'équivoques « petites causeuses ». A eux, les caves de la Culture ! les pic-nics aux Fausses-Reposes. Pour la prochaine, qui se dessine, qui s'organise autour de nous, jamais on aura surpris au fond de tant de cachettes et d'armoires, tant d'apôtres et de fervents bellicistes planqués... Le monde est pourri, c'est un fait par le cinéma, le cabotinage... (O ces charges de cavaleries légères !...) Le matuvuisme le plus exorbitant, le plus indécent est à la base, au fond, de tous les grands mouvements d'Idées actuels, inséparable... Le monde était en 14 beaucoup plus simpliste, plus nature, plus sincère, beaucoup moins ficelle, moins vicieux qu'aujourd'hui. En 37, le cabotinage, le phrasage s'étale partout, domine tout, mine tout, même le peuple, hélas ! lui-même déjà très faisandé bien avancé en pourriture cabotine... Je me souviens d'être monté en rifle avec des combattants bretons. Ils ne savaient pas lire, ni écrire, brigadiers compris... Ils inspiraient une confiance absolue, qui ne s'est jamais démentie ! « ac cadaver ». Je me méfie beaucoup des soldats qui savent lire... qui vont au cinéma... Qui sait lire devant le péril devient facilement raisonneur, un peu hésitant, subtil... Il se croit au cinéma, il demande à voir la suite... Il n'y a pas de suite !... Attention !... Il faudra dans les rangs oublier le cinéma !... Voici qui promet beaucoup de travail à la Prévôté... Elle ne chômera guère. Elle sera sur les dents derrière tous ces « spectateurs ». Les pelotons non plus ne chômeront pas... les recommandations non plus... (...) »

« (…) Les bons rêves ne s'élèvent que de la vérité, de l'authentique, ceux qui naissent du mensonge, n'ont jamais ni grâce ni force. Qui s'en soucie ?... Le monde n'a plus de mélodie. C'est encore le folklore, les derniers murmures de nos folklores, qui nous bercent... Après ce sera fini, la nuit... et le tam-tam nègre. Les bons rêves viennent et naissent de la viande, jamais de la tête. Il ne sort de la tête que des mensonges. La vie vue par la tête ne vaut pas mieux que la vie vue par un poisson rouge. C'est un jardin à la française. (...) »

« (…) Dans n'importe quel salon, en dix minutes d'assemblage, il se commet plus d'impairs, d'horreurs de goût et de tact, que dans tous les Corps de garde de France en dix ans... Le seul fait d'aller dans le monde dénote déjà chez le bonhomme une impudeur de cochon... une sensibilité de bûche. Le Monde, c'est un vrai paradis pour les sapajous exhibitionnistes. (...) »

« (…) Si l'on étranglait tout d'abord, tous ceux qui nous parlent de l'Avenir... ça simplifierait bien les choses... Quand un homme vous parle d'Avenir c'est déjà une finie crapule... (...) »

« (…) Bien sûr, ce livre va se vendre... La critique va se l'arracher... J'ai fait les questions, les réponses... Alors ?... Je crois bien que j'ai tout prévu... Elle pourra chier tant qu'elle voudra, la Critique... Je l'ai conchiée bien plus d'avance ! Ah ! je l'emmerde, c'est le cas de le dire ! C'est la façon ! J'aurai forcément le dernier mot ! en long comme en profondeur... c'est la seule manière. J'ai pris toutes mes précautions. Mais la critique, c'est pas grave, c'est bien accessoire... Ce qui compte c'est le lecteur ! C'est lui qu'il faut considérer... séduire. Je le connais Français moyen, regardant, objectif, vindicatif... Il en veut plus que pour son plâtre... dès qu'il ne s'agit plus d'un Juif... Et je n'ai pas sa cote d'amour !... Je vais donc lui donner bon poids. Je vais le gâter décidément. Je vais ajouter quelques chapitres... une dizaine... que ça représente un vrai volume... Je vais faire un peu de Baedecker... C'est la mode, c'est les Croisières... C'est susceptible de le fasciner... le genre « Magazine des Voyages »... Vous souvenez-vous ?... Ah ! le bien bel illustré ! chatoyant et tout ! divertissant au possible... ravissant de lecture... aimable... pittoresque... pimpant... Je vais reprendre ce principe... aux magies de « Michel Strogoff »... Je veux terminer ce gros et furieux ouvrage en grande courtoisie... Le coup de chapeau... le panache... Grande salutation... Je vous prie !... de ma plume immense, esbouriffée, je frôle le tapis... Grande parabole ! je vous présente mes devoirs... Grande révérence... Grande féerie... Je vous salue !... Votre serviteur !... (...) »

6 juillet 2012

Paul Léautaud, sur les vacances


« (...) Ce sont les derniers jours agréables. Je l'entends pour l'isolement et la tranquillité. Les chalets voisins ne vont pas tarder à être occupés. Cela commence déjà. Les gribouilles en vacances vont bientôt affluer, avec leurs cancans, leurs bavardages, leurs allées et venues, leurs rires, tout leur bruit stupide et leur odieuse animation. Déjà, dans mon grenier, je suis obligé, par moments, de fermer la porte pour ne pas entendre le caquetage des premiers arrivants. Il faut venir ici dans les premiers jours de juin, quand il n'y a encore personne, ou dans les premiers jours d'octobre, quand tout le monde est parti. En pleine saison, avec la manie de chaque propriétaire de chalet d'avoir des locataires, c'est une vraie foire. Mieux vaut rester chez soi. On ne va pas à quatre cent cinquante kilomètres pour retrouver les gens de la Bourse. (...) »

« (...) Je vais chaque jour faire les commissions à P... Je passe sur le port. Là, se trouvent les principaux hôtels à voyageurs. Là, les baigneurs se promènent et se font voir. Des commis, des employés, des commerçants enrichis. Un joli spectacle. La bêtise, la vulgarité humaines sont là dans leur plein. Des hommes de quarante ans, de plus vieux, ventrus, déformés, le visage ruiné, du poil sur la figure comme un animal, s'exhibent, la poitrine à l'air, avec ces chemises au col démesurément ouvert qui sont d'un si mauvais goût. Presque tous sont vêtus de neuf. Il leur a fallu une tenue spéciale pour venir ici, depuis les chaussures jusqu'à la casquette. Il faut les voir plantés à l'extrémité du môle, contemplant, sous leur visière, l'horizon de la mer, avec des airs de connaisseurs. Ils font ma joie. Je m'arrête à les regarder, tant ils représentent pour moi de comique humain. (...) »

Paul Léautaud, extraits de la chronique intitulée « Villégiature », publiée dans le recueil « Passe-Temps » (1928) ; Mercure de France.
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