19 juillet 2013

Jean-Paul Brighelli, sur l'« évolution de la langue »


« Le Crétin pontifiant, qui est ordinairement de gauche, mais qui peut être de droite (car la droite s'extasie volontiers des balourdises conceptuelles de la gauche – tout comme la gauche brûle de concurrencer la droite dans le domaine économique) salue à grands cris les trouvailles verbales des jeunes. Autant de preuves, assure-t-il, de leur inventivité, de leur dynamisme poétique. Sans doute l'école est-elle en faute, qui ne sait intéresser ces petits génies du verlan...
Le Crétin, bien entendu, se leurre. Les mots à la mode, les mots des groupes et des gangs, ne témoignent que d'une chose : la pauvreté absolue de la langue pratiquée par tous les damnés du système. Les jeunes se serrent autour d'un langage schtroumpf comme Erectus se pelotonnait dans son abri sous roche. Il est le plus petit commun dénominateur des morts de faim de la culture. Les quelques mots du groupe sont mots à tout faire – et c'est tant mieux, puisqu'on leur prévoit un emploi à tout faire – et à ne rien dire. (...) »

Jean-Paul Brighelli, La Fabrique du Crétin - La mort programmée de l'école, Gallimard (2005)

1 juillet 2013

Marcel Aymé, sur l'altération du langage


« (...) aujourd'hui, on ne se soucie guère de mettre les points sur les i, ni de comprendre son interlocuteur. On peut, sur n'importe quel sujet, disputer savamment et subtilement sans rien dire d'intelligible et certes, il en a toujours été ainsi, mais maintenant, on emploie les mots à contre-sens, on les substitue les uns aux autres, on en change le contenu selon l'humeur du moment et personne n'y prête attention, tout fait ventre. La semaine dernière, j'étais à Paris à une exposition de peinture et j'ai entendu X..., l'illustre académicien et grand écrivain s'écrier devant un tableau : « Cette petite toile est une « chose inouïe ! » Et pourquoi pas ? J'ai bien entendu dire par Mme de G..., qui tient salon littéraire : « J'ai rarement vu une voix aussi prenante. » Tenez, hier soir, après dîner, je relisais un morceau des Nourritures terrestres et j'ai fait cette découverte au bas de la page 73 : « ...Hilaire qui me départissait l'an d'avant de ce que mon humeur avait... » Je ne suis pas un cuistre, je n'irai pas faire grief d'une minute d'absence à un écrivain qui se recommande justement par la pureté et l'exactitude de son style. Ce qui me paraît significatif, c'est que des dizaines et des dizaines de milliers de lecteurs fervents, au nombre desquels nos plus brillants lettrés, aient lu ce passage-là sans y relever le barbarisme, le solécisme et le faux-sens qu'il contient. Le fait est d'autant plus remarquable que Gide n'a pas manqué d'ennemis et des plus malveillants. Mais aujourd'hui, c'est bien ce que je disais, on ne se soucie guère du sens des mots, ni de leur valeur et quand on lit un livre, ce n'est plus que pour y chercher une petite musique ou un climat philosophique ou esthétique. Des foutaises, quoi. Et voilà où en sont les Français après cent cinquante ans de romantisme. Ils n'ont plus à leur service qu'une langue frelatée dont les incertitudes et les ambiguïtés ne les gênent d'ailleurs pas dans leurs radotages. »

Marcel Aymé, à travers le personnage de Monsieur Lepage dans Le confort intellectuel (1949), Flammarion / Le livre de poche.
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