21 mars 2013

Pascal Ory, sur le grégarisme et la société totalitaire

« La massification a, on le devine mais il importe de le rappeler nettement, des conséquences en chaîne non seulement en externe*, dans, par exemple, le noyautage de toutes les institutions, mais d'abord en interne, dans l'ostentation de cette quantité fidélisée, pour ne pas dire fanatisée, puisque, aussi bien, dans un système totalitaire, le fanatisme peut être exalté comme qualité du bon partisan. Ainsi la masse génère-t-elle la messe, les grandes manifestations de foi collective, excluant évidemment tout débat, une messe n'étant pas un espace/temps où un fidèle puisse se dresser pour contester un point du rite, en moins un crédo. »

Pascal Ory, Du fascisme (2003) ; Éditions Perrin.

(*) comprendre : externe au Parti, ici le NSDAP.

20 mars 2013

Daniel LEFEUVRE : Pour en finir avec la repentance coloniale

Nos ancêtres étaient de rudes salauds. Esclavagistes, brutes sanguinaires, exploiteurs en tous genres, leur bassesse ne connaissait aucune limite. Cette tendance particulièrement abjecte est d'ailleurs tout à fait propre à la culture française. Aucune nation dans le monde n'a plus de sang sur les mains et de crimes sur la conscience, c'est là notre véritable exception culturelle.

A écouter une partie des intellectuels français contemporains, ce tableau noir ne paraît pas si caricatural. Leur vision du monde semble se réduire à cette version manichéenne névrotique : d'un côté les Français d'autrefois, condamnables par nature, de l'autre, leurs victimes, toutes parées de la même auréole.

En se focalisant sur l'histoire de l'Algérie française, sa spécialité, et tout en cherchant à éviter de tomber dans les travers de ceux dont il dénonce les inexactitudes voire les mensonges, Daniel Lefeuvre s'attaque de front à ces préjugés tout contemporains sur notre passé colonial. Entreprise ambitieuse, à contre-courant, à la réussite de laquelle ce professeur d'Histoire à Paris 8 apporte la rigueur d'une science chiffrée qu'il oppose aux affirmations péremptoires d'une idéologie morbide qui n'a pas manqué de relais depuis une quarantaine d'années.

A leur version des faits trop accablante pour être honnête, Daniel Lefeuvre répond d'abord par la dérision :

« (...) Fils d'Auvergnate et de Breton, dois-je demander le repentir de l'Italie et des Italiens pour les crimes qui ont accompagné la conquête romaine de la Gaule et pour l'acculturation - qui a conduit à un ethnocide - que les occupants ont imposée à mes ancêtres ? L'avocat de la Ligue des droits de l'homme n'aura aucun mal à défendre ma cause. La lecture de la Guerre des Gaules de César, dans laquelle il puisera, livre, en effet, un aperçu accablant sur les méthodes mises en œuvre par les Romains. C'est en contradiction absolue avec les règles humanitaires et, en particulier, avec les conventions de La Haye de 1899 et 1907, que César décide, en 53 avant Jésus-Christ, d'anéantir les Éburons révoltés. Lorsqu'il fait étrangler Vercingétorix en 46, il bafoue incontestablement la Convention de Genève de 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre ! Peut-être pourrais-je ensuite obtenir quelques dédommagements sonnants et trébuchants ? (...) » (pp.16-17)

Mise en bouche amusante, mais qui dénonce en quelques lignes toute l'absurdité du regard que portent de nos jours les Français sur leur passé : anachronismes en pagaille, moralisme compassionnel et victimisation héréditaire ; les symptômes de cette France repentante sont clairement identifiés.

S'appuyant sur quantité de données chiffrées et de citations, l'historien démontre au fil des pages que, loin de se refléter dans la peinture monochrome assombrie à l'extrême qu'on en fait, l'histoire de la colonisation en Algérie est en réalité beaucoup plus complexe, que les intérêts de la France étaient loin d'être aussi évidents que ne le prétendent les adeptes de l'historiographie binaire.

Il démontre notamment par les statistiques que les intérêts français nourris par la conquête de ce grand territoire furent avant tout spéculatifs. Lefeuvre oppose les rapports enthousiastes des experts de l'époque à une réalité très en deçà des espérances. Culture du coton, production pétrolière, les premières ambitions laissent vite place à la désillusion. Pour ne reprendre que l'exemple du pétrole, Daniel Lefeuvre, preuve à l'appui, démontre que la découverte de ses gisements n'avait rien d'une bénédiction : d'un coût d'exploitation plus de dix fois supérieur à la moyenne de l'époque, le pétrole algérien était en outre, de par sa « consistance légère », impropre à l'usage qu'en avait l'industrie française.

Au fil des chapitres, il apparaît comme évident que l'attachement de la France à sa présence en Algérie s'est avant tout nourri d'erreurs et d'illusions. On y vit une source de richesses colossales avant de n'y espérer plus qu'un marché économique susceptible de soutenir la consommation saturée de la métropole ; et au bout du compte, si certaines industries y trouvèrent un profit, la France, elle, n'hérita que d'efforts vains et de pertes colossales.

Bien sûr, les Repentants s'entêteront à faire la sourde oreille à ces constats, à préférer le dogme à la science, et le fantasme au bon sens ; peut-être seront-ils même tentés de dénoncer une entreprise partisane et nauséabonde là où, précisément, Daniel Lefeuvre s'astreint de ne pas politiser le débat comme il eût été si aisé de le faire. Ils donneront quelque part raison à Daniel Lefeuvre, prouvant par leur attitude que dénoncer est bien plus simple que démontrer. En tout cas, cette tentative de remettre les Français d'aplomb avec leur histoire, comme le sont tous les peuples qui se respectent, à défaut d'être salutaire, aura au moins eu le mérite d'exister.

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