16 mars 2008

Ernest HEMINGWAY : L'étrange contrée

On ne peut pas prétendre s'intéresser à la littérature américaine du XXème siècle sans chercher à découvrir au moins quelques textes d'Hemingway. Je garde un souvenir très dilué d'une lecture lointaine du Vieil homme et la mer, tellement dilué que je ne me souviens à peu près que de l'avoir lu dans mon enfance. J'avais envie d'y revenir, et si possible par le biais d'un texte court pour ne pas trop perdre mon temps en cas de déception. Niveau concision, j'étais servi avec L'étrange contrée et ses 110 pages tout juste. L'histoire m'intriguait, il me semblait y avoir un bon ressort dramatique, mais j'ai finalement l'impression d'avoir été berné par l'éditeur (Folio en l’occurrence), avec un quatrième de couverture en partie à côté de la plaque. Je cite :

"Un écrivain désabusé voyage en Floride avec une femme beaucoup plus jeune que lui : il vont au restaurant, boivent un verre, parlent de la guerre d'Espagne, de leur vie, d'avenir et font l'amour..."

Jusque là, pas de problème.

"Soudain tout se trouble, le soupçon de l'inceste rôde, les difficultés à écrire et à vivre ressurgissent et, avec elles, l'inexorable fatalité".

Alors là, je sèche. De deux choses l'une, soit les bavardages incessants m'ont endormi au point de lire ce roman en diagonale, soit les éditions Folio devraient éviter de sous-traiter la rédaction de leurs résumés à un service de réinsertion des Alcooliques Anonymes. Je ne vois pas très bien où rôde "le soupçon de l'inceste" dans ce roman. En dehors du fait que Roger ait été l'amant de la mère de Helena (sa nouvelle femme), je ne vois pas trop à quel endroit il est question d'inceste, même de vagues soupçons. Vous me direz, quelle importance ? Aucun, si ce n'est que c'est précisément ce point de détails qui me semblait faire la singularité de l'histoire, qui du reste n'est pas fameuse sur une bonne partie du roman. A la virée de deux pauvres amoureux transis se substitue seulement en fin de récit des réflexions un peu poussées, sur l'écriture (relativement intéressantes) principalement. Le personnage masculin - si fade sur les 80/90 première pages - prend enfin un peu de relief sur la fin du récit, dans la lutte qu'il s'efforce à mener contre sa propre nature pour faire durer aussi longtemps que possible la période de doux flottement qui suit le mariage. Le personnage féminin reste pour sa part à peu près aussi creux et docile d'un bout à l'autre du récit. Quant au style d'Hemingway, je me demande en fin de compte si je l'apprécierais davantage dans un texte plus inspiré, il me semble en effet manquer cruellement d'ironie et d'humour, mais je n'en resterai sans doute pas sur ce maigre récit avant de l'enterrer définitivement...

15 mars 2008

Factotum - le film (2005)

Matt Dillon dans la peau de Charles Bukowski, voilà une affiche qui ne me réjouissait pas particulièrement. Après Mickey Rourke dans Barfly, Hollywood nous refaisait le coup de l'asepsie par la beauté. Bukowski n'a jamais été un bellâtre, pourquoi diable s'entêter à le présenter à l'écran sous les traits d'un beau gosse ? Ca, c'était ma première réflexion, pleine d'a priori, car le fait est que Dillon - sans doute plus que Rourke pour ce que j'en ai entendu parler - a réellement cherché à se glisser dans la peau du corrosif écrivain américain. Il a tenu à s'enlaidir (pas franchement convaincant, mais on fait ce qu'on peut avec les moyens du bord), a pris un peu de poids, mais a surtout poussé le mimétisme jusqu'à sa façon de parler, avec cette fameuse  voix grave et nasale, ce débit désinvolte trainant sur les syllabes, l'illusion est de ce point de vue quasiment parfaite, et de ce fait, il convient IMPÉRATIVEMENT de voir ce film en version originale, le doublage français de Dillon étant d'une rare nullité, l'antithèse du travail d'appropriation de Dillon. La performance d'acteur est donc le premier point fort du film. Le réalisateur norvégien Bent Hamer s'est pour sa part attaché à restituer l’œuvre de Bukowski avec une certaine fidélité (notamment au niveau des dialogues qu'on retrouve généralement à la virgule près dans le film), qui est loin d'être toujours de mise lors du passage d'un roman à l'écran. Mais cette volonté manifeste n'empêche pas quelques libertés assez regrettables, comme le désordre dans lequel s'enchainent les scènes en comparaison du roman, ou encore, le choix du lieu de tournage. On peut en effet se demander les raisons qui ont poussé la production à choisir Minneapolis, alors que, bien que le roman nous transporte dans différentes villes de l'est, la ville de Bukowski a toujours été Los Angeles (et c'est à L.A. que le roman se situe majoritairement). Il y avait matière à marcher sur les traces de Bukowski en visitant ses lieux de perdition habituels, comme l'hippodrome de Hollywood Park, les quartiers qu'il fréquentait (à cette époque principalement au coeur de la ville, à quelques kilomètres au sud de Hollywood : Hoover Street, Alvarado...), mais il faudra repasser pour l'authenticité à ce niveau. On peut aussi s'étonner de certains changements opérés sans la moindre justification, ainsi le vieux pervers Wilbur devient Pierre et n'est plus manchot, la lettre d'acceptation de la première nouvelle de Bukowski par une revue littéraire n'est plus lue par Chinaski/Buk mais par sa logeuse en toute fin de film, et j'en passe. Autre point contestable, mais qu'on peut cette fois expliquer par des raisons budgétaires (le film étant produit en indépendant) :  la transposition du récit des années 1940 à nos jours. Les sujets de contestation ne manquent pas, reste tout de même un film relativement honnête, principalement soutenu par la prestation de Matt Dillon, mais qui ne saurait en rien remplacer la lecture du roman. Peut-être le film incitera-t-il des gens à s'intéresser à Bukowski ?  J'ai tout de même quelques doutes, cette adaptation me conforte dans l'idée que cinéma et littérature sont des arts distincts et pas toujours compatibles. Je ne regrette en tout cas pas d'avoir découvert Bukowski par ses écrits, car aussi louables soient les intentions d'un cinéaste, le regard du metteur en scène court-circuite inévitablement une partie de l'esprit original du roman, le choix des scènes étant forcément réducteur, et la liberté de ton au cinéma n'étant en rien comparable à celle d'un écrivain tel que Bukowski.

Petite parenthèse enfin concernant la bande son, belle idée que d'avoir mis en musique des poèmes de Bukowski, d'autant que l'artiste norvégienne qui s'est collé à la tâche (Kristin Asbjornsen) a su tirer remarquablement parti des textes, en les greffant sur une musique émouvante, à l'interprétation habitée (notamment Slow Day).

Charles BUKOWSKI : Factotum

Suite chronologique des Souvenirs d'un pas grand-chose, bien qu'écrit une dizaine d'années plus tôt, Factotum s'attarde sur les premiers pas de Henry Chinaski - l'alter-ego de Bukowski - dans la vie d'adulte. Bukowski revient sur les années qui ont suivi son départ du domicile parental, ses pérégrinations à travers les États-Unis, en quête de son oxygène : l'ivresse. On le suit ainsi à la Nouvelle Orléans, à New-York, à Miami, mais toujours, Chinaski revient à son port d'attache : Los Angeles. On découvre avec étonnement un Bukowski assez fidèle en amour en comparaison de certains de ses autres romans, longtemps fixé à la même femme, Jan, qui lui donne le change dans son jeu de massacre, une femme alcoolique, parfois hystérique, infidèle, paumée, mais qui semble ressentir une réelle affection pour Chinaski/Bukowski. Comme son titre l'indique, Factotum s'attarde avant tout sur la kyrielle de boulots minables que Bukowski exerce par nécessité, sans ne jamais tomber dans la résignation et la docilité des prolos qu'il côtoie. Bukowski ne se plie à aucune règle, ne craint jamais d'être viré, ce que ses patrons ne manquent jamais de faire, et généralement sans tarder. Tour à tour préparateur de commandes, manutentionnaire, gardien de nuit, ouvrier d'entretien, Bukowski enchaine les expériences sans intérêt comme les chapitres de son roman. Il en tire régulièrement des observations à l'incisivité parfois « célinienne » :

"Tu donnais huit heures au patron, mais il en voulait toujours plus. Par exemple, il ne te laissait jamais partir avant 6 heures. Des fois que tu aurais eu le temps de penser."

"Je ne pouvais me décider à lire les offres d'emploi. La seule pensée de m'asseoir en face d'un type derrière un bureau pour lui dire que je cherchais un boulot, que j'étais qualifié, c'était trop pour moi. Franchement, la vie me faisait horreur, tout ce qu'un homme devait faire pour avoir de la bouffe, un pieu et des fringues. Aussi je restais au lit à picoler. Quand on boit, le monde est toujours dehors, mais pour le moment, il ne te tient pas à la gorge."


Mais Bukowski reste Bukowski, avec son style unique, son humour tout aussi particulier, son ignorance des tabous, sa capacité à dépeindre les situations les plus désespérées avec recul et légèreté, et puis son irrésistible besoin de mettre les pieds là où la plupart des écrivains se refusent de se risquer :

"Y'a rien de pire que de terminer une bonne chiée et de se relever pour s'apercevoir que le dévideur de P.Q. est vide. Le pire être humain de la terre mérite de se torcher le cul. Ça m'est arrivé de me relever pour découvrir qu'il n'y avait plus de papier, de chercher le papier protège-sièges et il n'y en avait plus non plus. Tu te lèves pour constater que le tien vient de tomber dans l'eau. Après ça, tu as peu d'alternatives. Celle que j'ai trouvée et qui me satisfait le plus, c'est de m'essuyer avec mon slip, de le coller dans la cuvette, de tirer la chasse et de boucher les chiottes."

Comment ? N'avez toujours pas envie de découvrir Bukowski ?!?

14 mars 2008

Charles BUKOWSKI : Souvenirs d'un pas grand-chose

Au début des années 80, sur l'insistance de son éditeur, Charles Bukowski consentait enfin à se replonger dans les premières années de sa vie. C'est donc une nouvelle fois sous la forme d'une autobiographie à peine déguisée, mettant en scène son double Henry Chinaski, que Bukowski allait faire parler la poudre, ou plutôt exposer plus que d'habitude une facette méconnue (et pourtant toujours bien présente dans ses écrits) de sa personnalité : la tendresse. Ramener à la surface des souvenirs de sa prime enfance ont en effet replongé Bukowski dans une innocence qu'il retranscrit avec une justesse comparable à celle de son maître John Fante, sur la première partie du roman. Bukowski se remémore quelques bons moments d'enfance (le souvenir de son grand-père qu'il n'a pas beaucoup connu), mais on enchaine très vite sur la succession de coups durs qui ont forgé la personnalité de l'écrivain, avec en point d'orgue la brutalité d'un père que Bukowski parvient à décrire sans une once de misérabilisme. La victimisation et le pathos n'ont jamais été la came du vieux Buk, il décrit les faits, nous livre ses sentiments, son détachement vis à vis de la société, qu'il a en fait toujours ressenti et qui l'ont conduit sa vie durant sur le sentier de la marginalité... et d'une liberté absolue. Souvenirs d'un pas grand-chose revient donc sur les vingt premières années de la vie de l'écrivain, une scolarité à l'écart des autres, une sexualité tardive (compliquée par de sérieux problèmes d'acné), inversement proportionnelle à sa découverte de l'alcool, un besoin constant de dire merde aux conventions, l'amenant jusqu'à se laisser approcher à l'université par des nazillons d'opérette pour le seul plaisir de heurter le patriotisme aveugle et exacerbé de la masse qui l'entourait en ces temps de guerre (sans jamais adhérer le moins du monde à leurs idées : "Pourquoi donc est-ce que la Cause de la race supérieure n'attirait à elle que des invalides du corps et de la tête ?"). Chinaski/Buk quitte rapidement l'université, se fait virer par son père, et découvre ce qui rythmera dès lors son existence pour de nombreuses années : boulots merdiques à la petite semaine, chambres d’hôtel miteuses, femmes faciles et cuites à gogo. Une manière de vivre que Bukowski décrit admirablement - avec son cocktail habituel de lucidité, d'humour, de désinvolture et de liberté de ton - dans Factotum, qu'on peut considérer comme la suite de ces Souvenirs d'un pas grand-chose qui me paraissent être une excellente entrée en matière dans l’œuvre de Bukowski, notamment pour les sceptiques rebutés par la réputation sulfureuse de l'écrivain...

4 mars 2008

BUKOWSKI : Le génie de la foule

Note du 10 novembre 2011 :

La version reproduite ici précédemment étant, comme l'avaient remarqué certains visiteurs, tronquée et typographiquement imparfaite, voici la version complète, telle qu'elle figure dans l'anthologie Avec les damnés (1993 / 2000 pour la traduction française).

Les variantes n'étant pas négligeables, et la traduction de la version longue me semblant parfois très sommaire, je laisse les deux versions pour ceux qui voudraient comparer.

Probable que vienne s'y ajouter une troisième version, originale cette fois, dès que je l'aurais trouvée telle qu'elle fut publiée en 1966 dans la plaquette du même nom (The Genius Of The Crowd). Avis à d'éventuels contributeurs.

« 
Il y a assez de traîtrise, de haine,
                       de violence,
d'absurdité chez l'être humain
                       moyen
pour approvisionner n'importe quelle armée n'importe
   quel jour.
ET Les plus Doués Pour Le Meurtre Sont Ceux
   Qui Prêchent Contre
ET Les Plus Doués Pour La Haine Sont Ceux
   Qui Prêchent L'AMOUR
ET LES PLUS DOUÉS POUR LA GUERRE
– FINALEMENT – SONT CEUX QUI
PRÊCHENT LA

                                 PAIX

Ceux Qui Prêchent DIEU
   ONT BESOIN De Dieu
Ceux Qui Prêchent La PAIX
   N'Ont Pas La Paix.

CEUX QUI PRÊCHENT L'AMOUR
   N'ONT PAS L'AMOUR
ATTENTION AUX PRÊCHEURS
Attention A Ceux Qui Savent.

                 Attention
                 A Ceux Qui
                 LISENT
                 TOUJOURS
                 DES LIVRES

Attention A Ceux Qui Soit Détestent
   La Pauvreté Soit Sont Fiers D'Elle

ATTENTION A Ceux Qui Sont Prompts A Glorifier
Car Ils Ont Besoin D'Être GLORIFIÉS En Retour
ATTENTION A Ceux Qui Sont Prompts A Censurer :
Ils Ont Peur De Ce Qu'Ils Ne
Connaissent Pas

Attention A Ceux Qui Recherchent
La Foule : Ils Ne Sont Rien
Seuls

                 Attention
                 A L'Homme Moyen
                 A La Femme Moyenne
                 ATTENTION A Leur Amour

Leur Amour Est Moyen, Tend A
La Moyenne
Mais Il Y A Du Génie Dans Leur Haine
Assez De Génie Dans Leur
Haine Pour Vous Tuer, Pour Tuer
N'importe Qui.

Ne Voulant Pas La Solitude
Ne Comprenant Pas La Solitude
Ils Tenteront De Détruire
Tout
Ce Qui Est Différent
D'Eux

                   Incapables
                   De Créer L'Art
                   Ils Ne
                   Comprendront Pas L'Art

Ils Considéreront Leur Échec
En Tant Que Créateurs
Uniquement Comme L'Échec
Du Monde

Incapables D'Aimer Pleinement
Ils Jugeront Votre Amour
Incomplet
ET ILS VOUS
HAÏRONT

Et Leur Haine Sera Parfaite
Comme Un Diamant
Comme Un Couteau
Comme Une Montagne
COMME UN TIGRE
COMME De La Ciguë

                    Leur Plus Bel
                    ART 
»

++++++++++++++++++++++++++++

VERSION TRONQUÉE :

Il y a assez de traitrise, de haine, de violence,
D'absurdité dans l'être humain moyen
Pour approvisionner à tout moment n'importe quelle armée
Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre
Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l'amour
Et les plus doués pour la guerre - finalement - sont ceux qui prêchent la paix

Méfiez-vous
De l'homme moyen
De la femme moyenne
Méfiez-vous de leur amour

Leur amour est moyen, recherche la médiocrité
Mais il y a du génie dans leur haine
Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer, pour tuer n'importe qui

Ne voulant pas de la solitude
Ne comprenant pas la solitude
Ils essaient de détruire
Tout
Ce qui diffère
D'eux

Étant incapables
De créer de l'art
Ils ne comprennent pas l'art

Ils ne voient dans leur échec
En tant que créateurs
Qu'un échec
Du monde

Étant incapables d'aimer pleinement
Ils croient votre amour
Incomplet
Du coup, ils vous détestent

Et leur haine est parfaite
Comme un diamant qui brille
Comme un couteau
Comme une montagne
Comme un tigre
Comme la ciguë
Leur plus grand art.


Traduction (pas parfaite) d'un poème de Charles Bukowski, lu par lui-même dans le documentaire Bukowski de John Dullaghan, sorti en dvd chez Wild Side Vidéo (en France).
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...

Articles les plus consultés cette semaine