20 décembre 2008

Olivier Bardolle, sur l'instinct grégaire

« Ce catastrophique besoin d'adhésion, cet instinct primitif qui pousse les hommes à se regrouper dans un grégarisme hébété, constitue le grand préjudice de l'espèce. Peu importe l'idée, peu importe la cause ou la direction prise, pourvu qu'on soit ensemble, bien au chaud au cœur du troupeau, débarrassé enfin de sa responsabilité. Le groupe, qui tient lieu de pensée, consacre alors la déchéance de l'homme libre. Sans ce phénomène pernicieux, il n'y aurait jamais eu Auschwitz. »

Olivier Bardolle, Le monologue implacable, publié aux Editions Ramsay (2003)

BUKOWSKI : Conseil Amical à un Tas de Jeunes Gens

Allez au Tibet.
Faites du chameau.
Lisez la Bible.
Teintez vos chaussures en bleu.
Laissez-vous pousser la barbe.
Faites le tour du monde en canoë de papier.
Abonnez-vous au Saturday Evening Post.
Ne mâchez que du côté gauche de la bouche.
Epousez une unijambiste et rasez-vous avec un coupe-chou.
Et gravez votre nom sur son bras.
Brossez-vous les dents à l'essence.
Dormez toute la journée et grimpez aux arbres la nuit.
Faites-vous moine et buvez des chevrotines et de la bière.
Mettez la tête sous l'eau et jouez du violon.
Faites la danse du ventre devant des bougies roses.
Tuez votre chien.
Présentez-vous comme maire.
Vivez dans un tonneau.
Fendez-vous la tête avec une hachette.
Plantez des tulipes sous la pluie.

Mais n'écrivez pas de poésie.



Charles Bukowski, Avec les damnés.

Olivier Bardolle, sur la nature humaine

« C'est seulement quand ils sont bien malades qu'on peut approcher les hommes sans danger, les connaître un peu mieux. A un certain niveau de fièvre, ils perdent un peu de leur vice et cessent leur mascarade. Le meilleur de l'humanité gît dans les hôpitaux, à l'extérieur on ne rencontre que des prédateurs en puissance, intoxiqués par l'ambition et la surconsommation. »

Olivier Bardolle, Le monologue implacable, publié aux Editions Ramsay (2003)

13 décembre 2008

BUKOWSKI : confession

attendant la mort
comme un chat
qui sautera sur le
lit

je suis si triste pour
ma femme

elle verra ce
corps
raide
blanc

le secouera une fois,
peut-être deux :

" Hank ! "

Hank ne répondra
pas

ce n'est pas ma mort qui
m'inquiète, c'est ma femme
laissée seule avec cette
pile de
néant

je veux
qu'elle sache
cependant
que toutes les nuits
passées à dormir
à ses côtés

et même les futiles
disputes
ont toujours été
des splendeurs

et les mots
difficiles
que j'ai toujours eu peur de
prononcer
je peux à présent les
dire :

je
t'aime.


Charles Bukowski, poème extrait de Avec les damnés  (1993).

22 novembre 2008

Louis-Ferdinand CÉLINE : Entretiens avec le Professeur Y

Suivant le principe qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, Céline publiait quelques années avant sa mort ce très court roman au thème assez original. Sans doute las d'être mal interprété et incompris de bon nombre de journalistes, l'écrivain entreprenait de s'interviewer lui-même par le biais d'un journaliste fictif dépeint sous le trait d'un homme bien comme il faut, intellectuellement propret et bien conditionné, tout l'opposé du personnage Céline, provocateur et sans guère de tabous.
 
Dans Entretiens avec le Professeur Y, Céline s'en donne à cœur joie pour démonter les convenances, et dresser une analyse très intéressante de l'évolution de la littérature, du marché de l'édition, et bien sûr de la société en général qu'il ne manque une nouvelle fois pas de secouer en dénonçant ses nombreux travers, armé de son cynisme, de sa misanthropie et aussi d'un sens de l'humour qui fait souvent mouche. Il en profite également pour disséquer son style si personnel, sans fausse modestie inutile. Autant d'éléments qui aboutissent finalement à un roman un peu à part dans l’œuvre de cet immense écrivain, plus léger qu'à l'habitude et surtout beaucoup plus concis.
 
"(...) D'ailleurs toute personne de condition (privilégiée, gavée de dividendes) vous affirmera comme une vérité sur laquelle il n'y a pas à revenir, et sans y mettre aucune malice : que seule la misère libère le génie... qu'il convient que l'artiste souffre ! ... et pas qu'un peu ! ... et tant et plus ! ... puisqu'il n'enfante que dans la douleur ! ... et que la Douleur est son Maître ! ... (...)"
 
"(...) les écrivains d'aujourd'hui ne savent pas encore que le cinéma existe !... et que le cinéma a rendu leur façon d'écrire ridicule et inutile... péroreuse et vaine !... (...) leurs romans, tous leurs romans gagneraient beaucoup, gagneraient tout, à être repris par un cinéaste... leurs romans ne sont plus que des scénarios, plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !... le cinéma a pour lui tout ce qui manque à leurs romans : le mouvement, les paysages, le pittoresque, les belles poupées, à poil, sans poil, les Tarzan, les éphèbes, les lions, les jeux du Cirque à s'y méprendre ! les jeux de boudoir à s'en damner ! la psychologie !... les crimes en veux-tu en voilà !... des orgies de voyages ! comme si on y était ! tout ce que ce pauvre peigne-cul d'écrivain peut qu'indiquer !... ahaner plein ses pensums ! qu'il se fait haïr de ses clients !... il est pas de taille ! tout chromo qu'il se rende ! qu'il s'acharne ! il est surclassé mille !... mille fois ! (...)"
 
"(...) - Que reste-t-il au romancier, alors, selon vous ?
- Toute la masse des débiles mentaux... la masse amorphe... celle qui lit même pas le journal... qui va à peine au cinéma...
- Celle-là peut lire le roman chromo ?...
- Et comment !... surtout tenez, aux cabinets !... là elle a un moment pensif !... qu'elle est bien forcée d'occuper !... (...)"
 
"(...) l'émotion ne peut être captée et transcrite qu'à travers le langage parlé... le souvenir du langage parlé ! et qu'au prix de patiences infinies ! de toutes petites retranscriptions !... à la bonne vôtre !... le cinéma y arrive pas !... c'est la revanche !... en dépit de tous les battages, des milliards de publicité, des milliers de plus en plus gros plans... de cils qu'ont des un mètre de long !... de soupirs, sourires, sanglots, qu'on peut pas rêver davantage, le cinéma reste tout au toc, mécanique, tout froid... il a que de l'émotion en toc !... il capte pas les ondes émotives... il est infirme de l'émotion... monstre infirme !... la masse non plus est pas émotive !... certes !... je vous l'accorde, Professeur Y... elle aime que la gesticulade ! elle est hystérique la masse !... mais que faiblement émotive ! bien faiblement !... Y a belle lurette qui y aurait plus de guerre, Monsieur le Professeur Y, si la masse était émotive !... plus de boucheries !... c'est pas pour demain !... (...)"
 
"(...) arriver très en avance c'est la tactique habituelle des gens qui se méfient... ils veulent renifler les abords... la veille qu'il faudrait arriver tellement les humains sont vicieux... (...)"

20 novembre 2008

Dan FANTE : En crachant du haut des buildings

Je me méfie habituellement des fils-de ; d’un point de vue artistique et en l’occurrence littéraire, un rejeton lutte rarement à armes égales avec son géniteur, et lorsque ce dernier se nomme John Fante, toute tentative de se faire un prénom relève du pari perdu d'avance.  L’immense talent du père aurait dû réfréner les ardeurs de Dan Fante, mais au bout du compte, grand bien lui prit de se risquer à ce jeu des comparaisons a priori déséquilibré, car incontestablement, si le père était un grand écrivain, le fils est quant à lui loin d’être un scribouilleur.

En crachant du haut des buildings
, c’est le récit en grande partie autobiographique d’un Californien venant de débarquer à New York, pas franchement travailleur mais obligé de turbiner, sans ambition particulière, mais tentant malgré tout de percer en tant qu’auteur dramatique à Broadway (en travaillant mollement sur une pièce qui semble vouée à l'inachèvement).  Bruno Dante - le double romanesque de Dan Fante - cumule les boulots improbables, d’arracheur d’agrafes à placeur dans un cinéma miteux, de laveur de carreaux à chauffeur de taxi dans la jungle new-yorkaise, en passant par vendeur de ceintures à la sauvette… il se soûle dès que l’occasion se présente, pour ne plus entendre les voix qui le harcèlent à jeun, ou tout simplement pour s’oublier lui-même.
 
Bien que dans son roman Dan Fante cite à plusieurs reprises Hubert Selby Jr., En crachant du haut des buildings marche plus clairement sur les traces du plus grand admirateur de Fante père, je veux bien sûr parler du grand Bukowski. D’abord, le thème de En crachant du haut des buildings rappelle forcément celui de Factotum, il s’agit ici encore du parcours d’un asocial enchaînant les boulots ingrats pour survivre, entre deux cuites et quelques (plus rares) parties de jambes en l’air. Mais il y a aussi du Bukowski dans le ton, peut-être pas aussi libre et léger que le Maître, mais suffisamment rentre-dedans pour ne pas laisser indifférent. Comme chez Henry Chinaski, l’alcool occupe une place centrale dans l’existence de Bruno Dante, il y puise la force de rester en vie, et aussi celle de lutter contre ses névroses. L’univers de Dan Fante est toutefois un peu plus glauque que celui de Bukowski, et en cela, il faut sans doute voir l’influence de Selby. Quant à la comparaison avec son illustre père, elle se situe sans doute dans l'habileté à écrire un texte qui s'avérera sans doute actuel dans pas mal d'années encore. Manifestation de cet aspect intemporel, il est assez difficile de situer précisément le récit dans le temps.

"(...) Je me levai et me dirigeai vers mon bureau, le regard vissé sur les pages noircies de mots. Je vis les fautes d'orthographe, les erreurs dues à la précipitation, ma ponctuation incorrecte, lamentable. Quelle nullité ! Je balançai les feuilles dans la corbeille à papier. Je n'avais aucun talent. Pas étonnant que je picole et que je laisse les pédés me sucer le bout. Un loser, voilà ce que j'étais, condamné à ne pas avoir de boulot, presque complètement fauché, un vrai cafard collé aux murs de cette pension pleine de camés et de pervers. Je n'avais que ce que je méritais. (...)

"(...) J'aime bien changer de boulot. Je n'ai pas de gros besoins. Je n'ai pas spécialement envie de détenir des actions ou de participer à la redistribution des profits, je n'aime pas non plus me sentir coincé dans un moule, ni devoir baiser quelqu'un pour monter les échelons dans une boîte.  Quand on ne fait que des boulots d'intérim, on arrive presque toujours à éviter toutes ces histoires de personnes auxquelles on a systématiquement droit avec un boulot régulier - compétition, favoritisme, politique et le reste, comme ce qui m'était rapidement tombé dessus quand je bossais pour le cinéma. Il suffit d'un coup de fil et d'une demande de réaffectation pour se sortir d'une situation merdique. (...)"

5 novembre 2008

Hubert SELBY Jr. : Last exit to Brooklyn

Pénétrer dans l'univers de Selby, c'est se faire un peu violence. La vie qu'il dépeint est âpre, violente et malsaine. C'est d'ailleurs ce qui fit le succès de l'écrivain, cette faculté à décrire la misère humaine, affective et matérielle de la cohorte des laissés pour compte de l'Amérique, ce goût pour le propos cinglant, choquant (le livre fut attaqué ou censuré pour obscénité dans plusieurs pays à sa sortie en 1964). Last exit to Brooklyn nous embarque donc dans le New York miséreux des années 60, tour à tour, Selby s'attarde sur différents personnages, souvent sans lien, on ne sait jamais très bien où il va nous conduire, ce que l'on sait, c'est que l'atmosphère ne sera pas très joyeuse. Violences conjugales, sexuelles, verbales, sociales, tout y passe, dans un style qui nécessite un temps d'adaptation, Selby usant de la compacité de son texte comme d'un moyen supplémentaire d'oppresser son lecteur. Les retours à la ligne sont extrêmement rares, Selby écrit tout d'un bloc, dialogues y compris. Mais plus que dérouter le lecteur, il parvient à capter son attention, la mienne en tout cas.

Sa manière de jongler avec ses personnages qui se croisent parfois au fil du récit laisse d'abord supposer qu'ils ont un destin commun. En un sens, les nombreux personnages partagent au moins une chose, le désespoir de vivre dans un monde qui ne leur offre d'autre alternative que de subir, toujours subir cette existence sans queue ni tête. Il y a Vinnie, le petit caïd d'une bande de jeunes paumés réduits à arnaquer les bidasses en permission pourtant presque aussi paumés qu'eux. Il y a également Georgette, le travelo en mal de tendresse shooté en permanence à la Benzedrine. Autre personnage marquant de ce roman, Tralala, la jeune pute alcoolique et négligée dont le sort sera peut-être le plus abominable de toutes les histoires. Et puis le personnage quasiment central, Harry, mari et père de famille aux abonnés absents, ouvrier délétère et nonchalant qui goûtera son moment de gloire en se retrouvant parachuté aux commandes d'une grève sans précédent.

Ce premier roman de Hubert Selby Jr. ne se lit pas vraiment par plaisir, mais plutôt par besoin, celui d'ouvrir les yeux et de s'immerger dans une réalité qui a toujours cours et que tout un chacun cherche à fuir ou ignorer. Comme le maître qui éduque son chiot, Selby nous plonge le nez dans la merde aussi souvent que nécessaire ;  à la différence d'écrivains comme Bukowski ou Fante qui connurent et s'inspirèrent la même misère sociale pour écrire, le new-yorkais ne laisse pas vraiment de place à la légèreté ou à l'humour (encore qu'une certaine dose de dérision est palpable dans sa description de l'organisation syndicale oligarchique de l'usine, et du monde du travail de manière plus générale), son récit est sans concession, il met à nu la noirceur du genre humain (comme les pulsions pédophiles d'Harry dans un bref passage du bouquin), et ne lâche pas prise jusqu'au dernier mot.

"Tralala avait 15 ans la première fois qu'elle avait couché avec un type. Ça n'avait pas été par passion. Seulement pour passer le temps. Elle était toujours pendue chez les Grec avec les autres gosses du quartier. Rien à foutre. Seulement rester assis à discuter. Écouter le juke-box. Boire du café. Essayer de piquer des cigarettes. Tout était aussi emmerdant. Elle avait dit oui. Dans le parc. 3 ou 4 couples à chercher un arbre et un coin d'herbe chacun. En fait elle n'avait pas dit oui. Elle n'avait rien dit du tout. Tony ou Vinnie ou un autre avait simplement continué. Ils s'étaient tous retrouvés à la sortie avec de petits sourires entendus. Les gars se sentaient vachement fiers. Les filles marchaient devant et en discutaient. Elles poussaient des gloussements à chaque allusion. Tralala avait haussé les épaules. Se faire baiser était se faire baiser. Pourquoi en faire des salades ? Elle était souvent retournée au parc. Elle avait toujours le choix. Les autres filles étaient aussi d'accord qu'elle mais elles s'amusaient, elles aimaient faire marcher. Et riaient bêtement. Tralala ne perdait pas son temps à ça. Personne n'aime se faire foutre de sa gueule. Ou bien on y va, ou bien on n'y va pas. Un point c'est tout. Et en plus, elle avait de gros nichons. Elle était bâtie comme une femme. Pas comme une gamine. Les gars la préféraient. (...)"

"(...) Toute seule dans ses trois pièces remplies de meubles, souvenirs des jours passés, elle restait assise près de la fenêtre et regardait les branches de l'arbre nu qui frissonnaient dans le vent ; les oiseaux qui cherchaient de la nourriture dans le sol nu et glacé ; les passants qui marchaient le dos tourné au vent et le monde entier qui lui tournait le dos à elle. En hiver, la haine de chacun apparaissait à nu si vous regardiez bien. Elle voyait la haine dans les glaçons qui pendaient de sa fenêtre ; elle la voyait dans la boue sale des rues ; elle l'entendait dans la grêle qui égratignait les fenêtres et vous mordait le visage ; elle la voyait dans les visages baissés des gens qui se pressaient de rentrer dans leur maison chaude... oui, leurs têtes étaient baissées pour ne pas la voir, elle Ada et Ada se frappait la poitrine et s'arrachait les cheveux et suppliait le dieu Jéhovah d'avoir pitié et d'être miséricordieux (...)"

28 septembre 2008

BUKOWSKI : Seul avec tout le monde

la chair recouvre les os
et ils y mettent un cerveau et
parfois une âme,
et les femmes jettent
les vases contre les murs
et les hommes boivent beaucoup
trop
et personne ne trouve
son pendant
mais tous gardent
un espoir
rampant d'un lit
à l'autre.
la chair recouvre
les os et la
chair cherche
plus cher
que la chair.

il n'y a aucun
salut :
nous sommes tous
soumis
à un destin singulier.

personne ne trouve
son pendant.

la ville se remplit d'ordures
les dépotoirs se remplissent
les asiles se remplissent
les hôpitaux se remplissent
les cimetières se remplissent
ce sont bien les seules choses
qui se remplissent.



Charles Bukowski, poème extrait de L'amour est un chien de l'enfer (1977).

26 août 2008

Robinson JEFFERS : Be angry at the sun

That public men publish falsehoods
Is nothing new. That America must accept
Like the historical republics corruption and empire
Has been known for years.

Be angry at the sun for setting
If these things anger you. Watch the wheel slope and turn,
They are all bound on the wheel, these people, those warriors.
This republic, Europe, Asia.

Observe them gesticulating,
Observe them going down. The gang serves lies, the passionate
Man plays his part; the cold passion for truth
Hunts in no pack.

You are not Catullus, you know,
To lampoon these crude sketches of Caesar. You are far
From Dante's feet, but even farther from his dirty
Political hatreds.

Let boys want pleasure, and men
Struggle for power, and women perhaps for fame,
And the servile to serve a Leader and the dupes to be duped.
Yours is not theirs.


Robinson Jeffers (1941)

NB: Je ne me risque pas à le traduire en français, par crainte de dénaturer le propos de l'auteur, mais le sens global du poème ne me semble pas très difficile à saisir.

Philip ROTH : Portnoy et son complexe

Découverte de cet auteur américain par ce roman, l'un de ses premiers, publié à la fin des années 60, et l'information n'est pas sans importance, car s'il n'était certainement pas le premier à le faire, Philip Roth faisait quand même partie des auteurs qui contribuèrent à sortir la littérature des convenances des siècles passés. Il ne faut pas le cacher, Portnoy et son complexe, de nos jours, peut encore choquer certains lecteurs par sa crudité. Le sexe y est abordé sans tabou, les attaques envers la religion (voire les religions) et le communautarisme y sont assénées de manière assez virulente, surtout replacé dans le contexte de l'époque où le franc parler n'était pas toujours de rigueur.

Portnoy et son complexe, c'est la confession que fait Alex Portnoy à son psychanalyste, l'introspection à laquelle se livre ce jeune homme juif afin de percer l'abcès que représente son rapport chaotique aux femmes. Les causes ne tardent pas à être désignées lorsque le narrateur revient sur son enfance, et le comportement castrateur et presque incestueux de sa mère. Son rapport avec ses parents apparait d'abord comme l'origine du mal, Alex ne manque de rien, et certainement pas d'amour, mais il étouffe depuis sa plus tendre enfance dans ce cocon protectionniste qu'est sa propre famille. La faiblesse de son père s'avère également lui poser un sérieux problème, il lui manque l'image virile du père pour se forger sa propre image d'homme. Alex est pourtant un obsédé sexuel de premier ordre, il multiplie les conquêtes mais ne sait comment retenir une femme. Dans sa vie d'adulte, la pression parentale est toujours présente, mais on devine la prédominance de la morale et la culture de sa communauté dans ses nombreux troubles.

" (...) Imaginez la chose : supposons que je me décide et que j'épouse A avec ses délicieux nichons et ainsi de suite, qu'arrivera-t-il lorsque B qui en possède d'encore plus délicieux - ou en tout cas de plus nouveaux - fera son apparition ? Ou C qui a une façon spéciale de remuer son cul dont je n'ai encore jamais fait l'expérience ; ou De, ou E, ou F. J'essaie d'être sincère vis-à-vis de vous, Docteur - parce qu'avec le sexe l'imagination humaine galope jusqu'à Z et ensuite au-delà ! Nichons, cons, langues, lèvres, bouches, langues et trous du cul ! Comment puis-je renoncer à ce que je n'ai même jamais connu pour une fille qui, si délicieuse et provocante qu'elle ait pu être un jour, me deviendra inévitablement aussi familière qu'une miche de pain ? Pour l'amour ? Quel amour ? Est-ce ce qui lie tous les couples que nous connaissons - ceux qui du moins se soucient de se laisser lier ? N'est-ce pas quelque chose qui s'apparente à la faiblesse ? N'est-ce pas plutôt la commodité, l'apathie et la culpabilité ? N'est-ce pas plutôt la crainte, l'épuisement, l'inertie, la veulerie pure et simple, beaucoup, beaucoup plus que cet "amour" dont les conseillers matrimoniaux,  les auteurs de chansons et les psychothérapeutes ne cessent de rêver ? Je vous en prie, pas de foutaises entre nous sur l'"amour" et sa durée. Et voilà pourquoi je demande : comment puis-je épouser une femme que j'"aime" sachant pertinemment que d'ici cinq, six ou sept ans je vais retrouver dans les rues en quête d'une nouvelle chatte toute fraîche - et pendant ce temps-là, ma fidèle moitié qui m'a créé un si charmant foyer, etc., supporte avec courage sa solitude et sa disgrâce ? Comment pourrais-je affronter ses terribles larmes ? Je ne pourrais pas. (...)"

" (...) L'aube venue, on m'avait fait comprendre que je représentais la somme de tout ce qu'il y avait de plus honteux dans "la culture de la Diaspora". Ces siècles et ces siècles d'errance avaient produit justement des hommes désagréables dans mon genre - terrifiés, sur la défensive, autodestructeurs, émasculés, et corrompus par la vie dans le monde des Gentils. C'étaient les Juifs de la Diaspora exactement comme moi qui étaient allés par millions à la chambre à gaz sans jamais lever la main contre leurs persécuteurs, qui ne savaient même pas défendre leur vie avec leur sang. La Diaspora ! Le mot même la remplissait de fureur.
Lorsqu'elle eut terminé, je déclarai : "Merveilleux ! Et maintenant baisons." (...)"


Ce livre est un moyen intéressant de cerner le problème du communautarisme, on sort de l'angélisme du multiculturalisme pour s'apercevoir que, quel que soit son origine ethnique ou religieuse,  l'homme se complait par nature dans un univers qui lui ressemble, et que, au mieux, il se méfie de tout ce qui sort du cadre de son quotidien. Au pire, il haït l'autre, celui qui ne partage pas sa vision de la vie, et en cela, en dépit de tous ses troubles comportementaux, Alex Portnoy sort du lot en luttant depuis son enfance contre cette vision égotiste de l'existence. Il est attiré par les "shikse" (mot yiddish pour désigner toute femme non juive) autant par vice que par besoin de s'affranchir des bornes intellectuelles fixées par sa communauté, de même qu'il exècre toutes pratiques religieuses. Au fond, dans sa perversion, Alex s'avère un peu être le modèle à suivre, preuve que le mal n'est pas toujours là où le plus grand nombre le désigne.

" (...) La première distinction que vous m'ayez appris à faire, j'en suis certain, n'était pas entre le jour et la nuit ou le chaud et le froid, mais entre les goyische et les Juifs ! Mais maintenant il se trouve, mes chers parents, alliés et amis assemblés qui se sont réunis ici pour célébrer mon bar mitzvah, il se trouve, bande de ploucs, bande de ploucs étriqués (...), il se trouve que l'existence ne se borne pas tout à fait au contenu de ces écoeurantes catégories ! Et au lieu de pleurer sur celui qui refuse à l'âge de quatorze ans de jamais remettre les pieds dans une synagogue, au lieu de gémir sur celui qui a trouné le dos à la Saga de son peuple, versez des larmes sur vous-mêmes, créatures pathétiques - qu'attendez-vous - toujours à sucer, sucer ces aigres raisins de la religions ! Juifs, Juifs, Juifs, Juifs, Juifs ! Elle me sort déjà des oreilles, la Saga douloureuse des Juifs ! Rends-moi un service, mon peuple, et ton douloureux héritage, fous-le-toi dans ton cul douloureux - Il se trouve que je suis également un être humain ! (...)"

" (...) Oui, les seuls êtres au monde dont, me semble-t-il, les Juifs n'ont pas peur sont les Chinois parce que, un, la façon dont ils parlent l'anglais fait de mon père l'égal de lord Chesterfield ; deux, ils n'ont de toute façon à l'intérieur du crâne qu'une poignée de riz bouilli ; et trois, pour eux, nous ne sommes pas des Juifs mais des Blancs - et peut-être même des Anglo-Saxons. Vous vous rendez compte ! Pas étonnant que les serveurs ne puissent nous intimider. Pour eux, nous ne sommes qu'une quelconque variété de Wasp à grand nez ! (...)"

25 août 2008

Charles BUKOWSKI : Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau

Comme souvent, c'est à la demande de son éditeur que Charles Bukowski s'est penché sur cet ouvrage quelques années avant sa mort. A cette époque, l'écrivain se savait condamné par la maladie (cancer), et c'est encore plus vive et poignante qu'on retrouve sa légendaire liberté de ton. Le capitaine est parti déjeuner... se présente sous la forme d'un journal intime rédigé durant un an et demi, entre août 1991 et février 1993 ; Buk raconte les derniers mois de son existence, sans jérémiade, l'écrivain attend la mort mais trouve le courage de regarder une dernière fois la vie en face, droit dans les yeux. Dans ce livre, Bukowski est plus touchant que jamais, sa fragilité et sa sagesse l'amènent à des réflexions d'ordre métaphysique dont la justesse nous percute à chaque paragraphe. Et le mieux est encore de laisser la parole à l'auteur :

" (...) Se lamenter sur un cadavre est aussi inconséquent que de verser des larmes sur une fleur qu'on vient de couper. L'horreur, ce n'est pas la mort mais la vie que mènent les gens avant de rendre leur dernier soupir. Ils n'ont aucune considération pour elle et ne cessent de lui pisser, de lui chier dessus. Des copulateurs sans conscience. Ils ne s'obsèdent que sur la baise, le cinoche, le fric, la famille, tout ce qui tourne autour du sexe. Sous leur crane, on ne trouve que du coton. Ils gobent tout, Dieu comme la patrie, sans jamais se poser la moindre question. Mieux, ils ont vite oublié ce que penser voulait dire, préférant abandonner à d'autres le soin de le faire. Du coton, vous dis-je, plein le cerveau ! Ils respirent la laideur, parlent et se déplacent de manière tout aussi hideuse. Faites leur donc entendre de la bonne musique, eh bien ils se gratteront l'oreille. La majorité des morts l'étaient déjà de leur vivant. Le jour venu, ils n'ont pas senti la différence. (...)"

" (...) Vieillir est très étrange. Pour l'essentiel parce qu'on passe son temps à se répéter qu'on se décatit, qu'on décline. Ainsi, à chaque fois que je me retrouve sur l'escalator d'Hollywood Park, je ne peux m'empêcher de m'examiner dans l'un des miroirs latéraux. Au vrai, je n'y vais pas franco, je l'attaque de biais. par en dessous, avec un demi-sourire prudent. Eh bien rassure-toi, c'est moins désastreux que tu l'avais imaginé, même si tu ressembles à une bougie qui aurait perdu sa mèche. Tant pis ! T'as quand même baisé les dieux et fait la nique à la marche du temps. Logiquement, on aurait dû t'enterrer voilà trente-deux ans. Je me suis offert un rab d'atmosphère, un surplus de périscope sur l'inhumaine comédie. (...)"

" (...) Je n'ai jamais placé mes espoirs dans la raison ou dans la justice. Jamais, au grand jamais. Peut-être cela explique-t-il pourquoi je me suis toujours gardé d'écrire des livres à thèse. Pour moi, la communauté tout entière est frappée de non-sens, et personne n'y changera quoique ce soit. On perd son temps à vouloir bonifier quelque chose d'aussi stérile. (...)"

" (...) Quoi ? J'aurais pu être utile à quelque chose ? Avocat ? Médecin ? Sénateur ? De la foutaise, comme le reste. Ils se croient le nez hors de la merde alors qu'ils en bouffent tant et plus. Ils se sont piégés dans leur propre système, et ils ne peuvent plus en sortir. D'ailleurs, quasiment aucun d'eux n'aime ce qu'il fait. Mais quelle importance, puisqu'ils se calfeutrent dans un cocon. (...)"

" (...) L'univers tient dans un gros sac de merde déchiré de partout et jamais rafistolé. Je ne peux rien y changer. Toutefois, si j'en crois les lettres que je reçois, mes livres auraient tiré pas mal de gens d'un mauvais pas. Tel n'était pas mon but, je n'écris que pour me sauver moi-même. J'ai toujours été asocial, et jamais je ne me suis adapté. Dès l'école, j'ai découvert ma marginalité. Ne serait-ce que parce que j'y ai appris que je ne pouvais apprendre que lentement. Les autres élèves enregistraient tout au quart de seconde, pas moi qui ne retenais que dalle. Pas la moindre bribe de savoir qui ne m'apparaissait baignant dans une lumière crépusculaire et intimidante. J'avais tout du fou. Sauf que, même lorsque j'offrais les apparences de la déraison, je savais que la réalité était plus complexe. Dans un recoin de mon être, j'avais réussi à dissimuler de quoi me protéger, un petit rien insaisissable. (...)"


Bukowski n'oublie pas non plus son humour, même face à la mort. Son quotidien est plus que jamais consacré à l'observation des autres, que ce soit au champ de course où il passait la plupart de ses journées, ou bien au volant de sa voiture, toutes les occasions sont bonnes pour affûter son jugement, plus tranchant que jamais. On se plait aussi à lire des moments plus légers, liés bien souvent à sa découverte du confort matériel dans sa petite villa du sud de Los Angeles où il vit avec sa femme Linda : piscine, jacuzzi, et surtout, l'ordinateur, cet outil si pratique qui bien souvent émerveille Bukowski (sauf quand la page soigneusement noircie se transforme en écran bleu) et lui permet de gagner un temps précieux alors que ses jours sont définitivement comptés.

21 juillet 2008

Charles Bukowski, sur les écrivains

« Les écrivains posent un problème. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend comme des petits pains, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend moyennement, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit est publié et se vend très mal, l'écrivain se dit qu'il est génial. Si ce qu'un écrivain écrit n'est jamais publié et qu'il n'a pas assez d'argent pour s'éditer à compte d'auteur, alors il se dit qu'il est vraiment génial. En fait, la vérité est qu'il y a très peu de génies. Le génie n'existe quasiment pas, il reste invisible. Mais vous pouvez être assuré que les pires gratte-papier ont une confiance inébranlable en eux-mêmes. Bref, les écrivains sont une race à éviter, mais j'avais beau essayer de les éviter, c'était presque impossible. Ils comptaient sur une sorte de fraternité, de connivence. Ni l'une ni l'autre n'étaient utiles devant la machine à écrire. »

Women, de Charles Bukowski (1978) ; traduction de Brice Matthieussent.

17 juillet 2008

Neige sur Beverly Hills (1987)

Une adaptation libre du premier roman de Bret Easton Ellis (Moins que zéro), c'est de cette manière qu'il faut aborder ce film lorsque l'on a déjà lu le bouquin. Et c'est finalement une assez bonne chose, car le résultat est assez surprenant, et plutôt convaincant. Une interprétation remarquable (notamment Robert Downey Jr, en junkie au bord du précipice), une histoire un peu édulcorée en comparaison du texte original, débarrassée d'une partie de son aspect glauque pour se focaliser sur son ressort dramatique et sur les liens qui unissent les personnages. Neige sur Beverly Hills reprend les grandes lignes du roman (du souvenir que j'en garde en tout cas, et qui commence à ne plus être très frais dans ma tête...), la décadence d'une jeunesse friquée qui ne trouve plus l'excitation que dans sa propre autodestruction. Le climat a su conserver une partie de la noirceur de l'univers d'Ellis, tout en l'allégeant de détails pas vraiment indispensables ; en gros, c'est du Ellis à la sauce Hollywoodienne, mais sans ses excès. Pas de happy end lourdingue, pas de plan balisé éculé qu'on serait capable de deviner dès les premiers instants, pas trop de bons sentiments non plus. Juste l'histoire touchante d'adolescents livrés à eux-mêmes et complètement paumés.

Titre original : Less than zero
Réalisateur : Marek Kanievska
Interprètes : Robert Downey Jr., Andrew McCarthy, Jami Gertz, James Spader...

Paul MORAND : L'homme pressé

Cet espace commence à sérieusement prendre la poussière, et ça n'est pas en commentant un roman de 1941 que je vais le dépoussiérer. Encore que, Paul Morand était plutôt visionnaire en dépeignant ce portrait si proche de l'homme moderne tel qu'on le connait aujourd'hui, 60 ans plus tard. L'homme pressé se prénomme Pierre, il n'est pas encore affublé de l'attirail de l'humain version 21ème siècle, et ne dispose pas encore de sa technologie asservissante, mais il en présente tous les stigmates : incapable de tenir en place, cherchant à occuper la moindre seconde de son temps, à précipiter les évènements (jusqu'à la naissance de son enfant pour lequel il ne conçoit de patienter 9 mois), l'homme pressé use ses proches un à un et se retrouve seul pour son grand rendez-vous avec la mort.

A travers le portrait caricatural d'un seul homme, Morand critique manifestement l'évolution de toute la société. Le trait est un peu poussé dans ses retranchements et le style est parfois un peu académique (quoi de plus normal pour un académicien...), mais Morand sait souvent se montrer tranchant, dans le portrait qu'il dresse de ses personnages et qui une fois encore ont un peu valeur universelle quant au comportement humain en général. L'égoïsme outrancier de la belle mère de Pierre Niox peut aisément s'appliquer à bien des gens en le nuançant à peine :

"(...) Jeunes et superbes, ces trois filles travaillaient et n'avaient pas trop de vingt-quatre heures pour bénir leur mère de les avoir élevées sans soins, sans religion, sans dot et presque sans y penser. Mais si l'une d'elle avait un malaise ou un chagrin, il lui suffisait d'entrer dans la chambre de Mamicha pour retrouver la paix et la santé. Comme une idole miraculeuse, Mamicha recevait tout, ne donnait rien, mais guérissait. (...)"

La stupidité de l'oncle d'Edwige, la femme de Niox, reflète également bien des conversations de café du commerce où chacun se doit toujours d'avoir un avis sur tout :

"(...) A part cela, il était de l'immense troupeau des imbéciles qui, d'une voix coagulée, rendent leur journal après l'avoir mangé. (...)"

 Bien que son style paraisse parfois un peu guindé, Morand laisse aussi échapper quelques traits d'humour assez piquants :

"(...) C'était une femme de quarante-huit ans qui, les jours où elle faisait toilette et se peinturait en blanc, arrivait à n'en paraître que soixante (...)"

 Mais c'est encore dans ses réflexions plus philosophiques qu'il se montre le plus cinglant :

"(...) L'enfant encore invisible est sans cesse présent entre eux ; expression de cet impérialisme du moi inconscient et forcené qui nous pousse à toujours étendre nos frontières de chair, il exalte Pierre, excite son impatience passionnée. (...)"

9 mai 2008

Douglas COUPLAND : Hey, Nostradamus !

Après la lecture de Génération X, je ne pensais pas me remettre de sitôt à la lecture d'un roman de Douglas Coupland. Non pas que j'étais déçu, loin de là, mais j'avais simplement une liste de bouquins et d'auteurs à découvrir prioritairement. Et puis un article sur un blog que je lis de temps à autre me donnait envie de m'y remettre, avec ce neuvième roman du Canadien. Hey, Nostradamus! est présenté comme une critique des excès de la religion, mais c'est aussi un roman sur la violence de notre époque. Découpé en quatre parties, le livre se présente sous la forme de confessions de quatre personnages dont la vie est bouleversée par un évènement tragique.

En 1988, dans la région de Vancouver, trois élèves détraqués se livrent au massacre de leurs camarades dans l'enceinte de leur lycée. Au centre de la tragédie, Cheryl et Jason, deux jeunes élèves endoctrinés par un mouvement religieux très à cheval sur les principes, mariés en secret pour goûter aux plaisirs charnels sans trop se mettre en porte-à-faux avec leur morale chrétienne. Le couple est séparé par le décès de Cheryl dans la tuerie, peu après qu'elle ait annoncé sa grossesse à Jason. Le premier témoignage est celui de la jeune fille, avant et après le massacre, vivante et post mortem donc, et c'est à mon avis le premier couac du roman.

Coupland semble hésiter entre une espèce d'éloge de l'athéisme du bout des lèvres, et une soumission au folklore religieux avec cette resucée sur le thème de la vie après la mort. La deuxième confession, de loin la plus intéressante à mon avis, est celle de Jason, devenu une demie épave 11 années après le massacre, bientôt trentenaire mais incapable de se relever du drame, auquel s'est ajouté la mort de son frère un an plus tôt.

A ce moment, le roman dérive un peu vers le roman de genre, le thriller plus précisément, et c'est aussi un des points qui me gène dans ce livre, chose que je n'avais pas vraiment trouvé dans Generation X ou alors en très faible quantité. Au lieu de se concentrer sur le mal être du personnage, Coupland se laisse distraire par une histoire annexe un peu rocambolesque, à la Douglas Kennedy, qu'on retrouve ensuite jusqu'à la fin du roman, notamment dans le témoignage de Heather, la petite amie de Jason, qui trois années après la confession de ce dernier, nous raconte leur rencontre, l'apaisement de Jason à son contact, et puis aussi [attention révélation !] la disparition de ce dernier quelques mois plus tôt. Encore une fois, le roman glisse un peu dans le scabreux, avec une tentative de pastiche de mielleuserie sentimentalo-spirituello-cucul, une idylle entre deux mondes par voyante interposée façon Demi Moore et Patrick Swayze dans Ghost...

Même si le rationnel l'emporte ensuite, le roman ne retombe pas vraiment sur ses deux pattes, l'explication est un peu farfelue, et cette passade olé olé alourdit le récit de quelques longueurs dont je me serais bien passé. Dernier témoignage, celui de Reg, le père de Jason, qui après une vie dévouée à son Dieu, envers et contre ses proches, se réveille... trop tard...

Juste au moment où je commençais à m'assoupir, car malgré des qualité indéniables, ce roman, de mon point de vue, n'atteint pas le niveau de Génération X, plus sobre, plus universel. Je crois finalement avoir un léger problème avec cette génération d'écrivains, celle des Coupland, Ellis, McInerney et j'en passe, qui si elle ne manque certainement pas de talent, en particulier pour avoir su retranscrire l'état d'esprit d'une génération et d'une époque, en a également allègrement absorbé son style, par un côté clinquant, superficiel tout en s'en défendant et en jouant la carte de la sensibilité. Le problème avec ce genre d'auteurs, c'est qu'ils décrivent les autres sans jamais vraiment se livrer eux-mêmes. A leurs débuts assez captivants, ils me paraissent s'enfermer en vieillissant dans une sorte de conformisme de l'écrivain dans le vent. La génération précédente était à mon sens plus vraie, plus authentique. Je me demande si, comme Bukowski, je ne préfère pas simplement les écrivains morts... Ceci ne m'empêchera cependant pas de lire ou relire des Ellis, McInerney ou même Coupland... Vive les paradoxes !

La crise d'adolescence, vue par John Fante

« (...) Il s'appelait Arturo, mais détestait ce prénom : il aurait aimé s'appeler John. Son nom de famille était Bandini, mais il aurait préféré s'appeler Jones. Sa mère et son père étaient italiens, il les aurait voulus américains. Son père était poseur de briques, il l'eût préféré lanceur pour les Chicago Cubs. Ils habitaient Rocklin, Colorado, dix mille habitants, et il voulait habiter Denver, à trente milles de là. Son visage était couvert de taches de rousseur qu'il haïssait. Il fréquentait une école catholique, il aurait préféré une école publique. Sa petite amie s'appelait Rosa, mais elle le détestait. Enfant de chœur, il était un vrai diable et haïssait les enfants de chœur. Il voulait être bon garçon, mais il redoutait d'être bon garçon, car il craignait que ses amis ne le traitent de bon garçon. Il s'appelait Arturo et il aimait son père, mais il vivait dans la hantise du jour où il serait assez costaud pour rosser son père. Il adorait son père, mais prenait sa mère pour un mijaurée doublée d'une idiote.
Pourquoi sa mère ne ressemblait-elle pas aux autres mères ? C'était ainsi, il le constatait chaque jour. La mère de Jack Hawley l'excitait : elle avait une façon de lui donner des petits gâteaux qui accélérait le rythme de son cœur. La mère de Jim Toland avait des jambes sublimes. La mère de Carl Molla portait en tout et pour tout une robe légère ; quand elle balayait la cuisine des Molla, il se campait sur le porche de derrière pour regarder Mme Molla balayer, ses yeux écarquillés dévorant les ondulations de ses hanches. Il avait douze ans à l'époque, et quand il comprit que sa mère ne l'excitait pas, il se mit à la haïr en secret. Il surveillait toujours sa mère du coin de l’œil. Il aimait sa mère, mais il la détestait. (...) » 

Bandini, de John Fante (1938) ; traduction de Brice Matthieussent (1985).

John FANTE : Bandini

Dans Demande à la poussière, John Fante revenait sur les débuts de sa carrière d'écrivain, lorsque, sous les traits de son alter ego Arturo Bandini, jeune adulte, il tentait de survivre à Los Angeles, tiraillé entre la réalité de son statut de zonard qui passe son temps à tirer le diable par la queue et ses excès de confiance en lui-même et son propre talent. Ce personnage fantasque, on le retrouve quelques années plus tôt, en pleine crise d'adolescence (dont il ne s'était, il est vrai, pas tellement débarrassé dans Demande à la poussière), dans Bandini. Fante nous raconte son adolescence au Colorado, l'occasion de dresser le portrait de sa petite famille de ritals déracinés, pauvres et complexés. L'auteur s'attarde en particulier sur ses parents : sa mère bigote et effacée, et son père, cavaleur et égoïste, peu concerné par le sort de sa petite famille. Fante excelle dans l'art de retranscrire son environnement avec les yeux d'un gosse de 14 ans, avec toutes les contradictions qu'on peut vivre à cet âge, mélange d'admiration et de rejet envers ses parents, besoin d'affection et incapacité à dévoiler ses sentiments à la fille de ses rêves... Il s'agit d'un récit à la troisième personne, mais plus à la manière d'une introspection désincarnée que d'un regard extérieur narrant froidement une histoire. Suivant sa recette habituelle, Fante parsème le texte d'un cocktail de drôlerie et d'émotion, toujours dans un style direct et moderne (le roman fut quand même écrit en 1938 !). Un peu moins brillant que dans Demande à la poussière toutefois, mais vraiment d'un cheveu !

28 avril 2008

Céline et la philosophie...

« (...) j'ai pas d'idées moi ! aucune ! et je trouve rien de plus vulgaire, de plus commun, de plus dégoûtant que les idées ! les bibliothèques en sont pleines ! et les terrasses de café !... tous les impuissants regorgent d'idées !... et les philosophes !... c'est leur industrie les idées !... ils esbroufent la jeunesse avec ! ils la maquereautent !... la jeunesse est prête vous le savez à avaler n'importe quoi... à trouver tout : formidââââble ! s'ils l'ont commode donc les maquereaux ! le temps passionné de la jeunesse passe à bander et à se gargariser d' "idéass" ! ... de philosophies, pour mieux dire !... oui, de philosophies, Monsieur !... la jeunesse aime l'imposture comme les jeunes chiens aiment les bouts de bois, soi-disant os, qu'on leur balance, qu'ils courent après ! ils se précipitent, ils aboyent, ils perdent leur temps, c'est le principal ! aussi, voyez tous les farceurs pas arrêter de faire joujou avec la jeunesse... de lui lancer plein de bouts de bois creux, philosophiques... si elle s'époumone, la jeunesse !... et si elle biche !... qu'elle est reconnaissante !... ils savent ce qu'il faut, les maquereaux ! des idéâs !... et encore plus d'idéâs ! des synthèses ! et des mutations cérébrales !... au porto ! au porto, toujours ! logistique ! formidââââble !... plus que c'est creux, plus la jeunesse avale tout ! bouffe tout ! tout ce qu'elle trouve dans les bouts de bois creux... idéââs !...  joujoux !... (...) »

Extrait des Entretiens avec le Professeur Y de Louis-Ferdinand Céline (1955).

6 avril 2008

Charles Bukowski, sur l'humanité

« Mon bureau s'ouvre sur un petit balcon, et par sa porte vitrée je peux voir les lumières des voitures sur l'autoroute du Port, jamais elles ne s'éteignent, long ruban incandescent, sans début ni fin. Toute cette humanité en marche ! Vers où se dirige-t-elle ? Que pense-t-elle ? Ne sait-elle pas que nous courons tous à la mort ? Quelle mauvaise farce ! Voilà qui devrait nous faire aimer notre prochain, mais, non, on s'y refuse. Les banalités quotidiennes nous accablent et nous terrorisent, et le néant nous dévore. »

Extrait du journal intime Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau de Charles Bukowski (traduction de Gérard Guégan).

R.M. UTLEY et W.E. WASHBURN : Guerres indiennes

Pour qui s'intéresse à la vie et l'Histoire des Indiens d'Amérique, la collection Terre Indienne des éditions Albin Michel est une mine d'or. Les ouvrages sont nombreux, certains très spécialisés, d'autres plus généralistes, comme ce Guerres Indiennes qui entreprend de résumer l'histoire du continent nord-américain depuis l'arrivée des premiers colons au XVIIème siècle (quelques passages reviennent même  sur des faits antérieurs, notamment les expéditions de Christophe Colomb). En moins de 300 pages, les auteurs ont donc cherché à couvrir près de trois siècles d'affrontements, depuis le débarquement du Mayflower en 1620 jusqu'au massacre de Wounded Knee en 1890. On découvre petit à petit les différentes tribus qui se sont opposé à l'invasion des colons, les auteurs tentent de nous éclairer sur les contextes avec le plus de précision possible.

Bien que prenant plutôt le parti de la cause indienne, l'ouvrage nous épargne l'écueil du manichéisme outrancier, en tentant de cerner le caractère des principaux acteurs de ces conflits, d'un côté comme de l'autre. Côté blanc, le livre dresse le portrait de quelques hommes à la morale moins aléatoire que la plupart de leurs semblables à l'égard des autochtones (comme le commerçant irlandais William Johnson qui portait un regard très critique sur le comportement des colons dès le milieu du XVIIIème siècle, ou le marquis de Montcalm décrit comme un homme de parole respectueux de ses alliés indiens et respectés d'eux), mais cette noblesse d'esprit était loin d'être majoritaire, comme on peut se l'imaginer.

Les auteurs égratignent par ailleurs quelques légendes, comme le futur premier président George Washington, décrit dans sa jeunesse comme un homme assez inconséquent (voire carrément imbécile, au point d'être subjugué par le sifflement des balles sur un champ de bataille, qu'il trouva "charmant") ; autre légende mise en valeur dans la culture populaire, Davy Crockett, qui n'était semble-t-il qu'une crapule sanguinaire de plus.

Le livre tend également à discerner deux approches différentes selon l'origine des colons : celle des Anglais, pleins de méfiance et de mépris à l'égard des Indiens qu'ils ont toujours considéré comme des êtres inférieurs, et à contrario, celle des Français, dépeints par les auteurs comme des gens plus amicaux, cherchant plus à se mêler aux tribus, allant bien souvent jusqu'à épouser des femmes indiennes.

Et puis, bien sûr, ce livre est l'occasion de dresser les portraits des grands chefs indiens, ceux dont chacun a déjà entendu parler, les légendaires Sioux Crazy Horse et Sitting Bull, les Apaches Cochise et Geronimo, etc... Mais aussi les moins connus du grand public, qui ont pourtant joué un rôle aussi important, comme Tecumseh de la tribu Shawnee, ou Pontiac, chef des Ottawas. La plupart d'entre eux semblaient à l'origine plutôt bien disposés à l'égard des Blancs, mais le comportement toujours plus conquérant de ces derniers - qui revenaient sur leurs engagements à mesure qu'on découvrait de nouvelles richesses à l'ouest - les contraignit vite à revoir leur jugement.

Bien évidemment, le livre s'attarde aussi sur les batailles qui ont accompagné l'expansion de la colonisation au fil des décennies, pour aboutir à la ségrégation que chacun sait par la création des réserves où la misère et les maladies finiront d'asservir les survivants de cet interminable conflit dont bien des éléments présentent quelques analogies troublantes avec la Shoah. A commencer par la déportation de la tribu Cherokee pourtant parfaitement intégrée au projet de société des colons (à cette époque, les Cherokees vivaient à la manière des Blancs, et en paix avec eux), avec le sombre épisode de la Piste des Larmes (en anglais : the Trail of Tears), un exode imposé par le gouvernement américain pour s'approprier leurs terres, assorti de milliers de morts chez les Cherokees durant leur périple de 2000 kilomètres. De quoi se demander une nouvelle fois de quel côté étaient réellement les sauvages.

16 mars 2008

Ernest HEMINGWAY : L'étrange contrée

On ne peut pas prétendre s'intéresser à la littérature américaine du XXème siècle sans chercher à découvrir au moins quelques textes d'Hemingway. Je garde un souvenir très dilué d'une lecture lointaine du Vieil homme et la mer, tellement dilué que je ne me souviens à peu près que de l'avoir lu dans mon enfance. J'avais envie d'y revenir, et si possible par le biais d'un texte court pour ne pas trop perdre mon temps en cas de déception. Niveau concision, j'étais servi avec L'étrange contrée et ses 110 pages tout juste. L'histoire m'intriguait, il me semblait y avoir un bon ressort dramatique, mais j'ai finalement l'impression d'avoir été berné par l'éditeur (Folio en l’occurrence), avec un quatrième de couverture en partie à côté de la plaque. Je cite :

"Un écrivain désabusé voyage en Floride avec une femme beaucoup plus jeune que lui : il vont au restaurant, boivent un verre, parlent de la guerre d'Espagne, de leur vie, d'avenir et font l'amour..."

Jusque là, pas de problème.

"Soudain tout se trouble, le soupçon de l'inceste rôde, les difficultés à écrire et à vivre ressurgissent et, avec elles, l'inexorable fatalité".

Alors là, je sèche. De deux choses l'une, soit les bavardages incessants m'ont endormi au point de lire ce roman en diagonale, soit les éditions Folio devraient éviter de sous-traiter la rédaction de leurs résumés à un service de réinsertion des Alcooliques Anonymes. Je ne vois pas très bien où rôde "le soupçon de l'inceste" dans ce roman. En dehors du fait que Roger ait été l'amant de la mère de Helena (sa nouvelle femme), je ne vois pas trop à quel endroit il est question d'inceste, même de vagues soupçons. Vous me direz, quelle importance ? Aucun, si ce n'est que c'est précisément ce point de détails qui me semblait faire la singularité de l'histoire, qui du reste n'est pas fameuse sur une bonne partie du roman. A la virée de deux pauvres amoureux transis se substitue seulement en fin de récit des réflexions un peu poussées, sur l'écriture (relativement intéressantes) principalement. Le personnage masculin - si fade sur les 80/90 première pages - prend enfin un peu de relief sur la fin du récit, dans la lutte qu'il s'efforce à mener contre sa propre nature pour faire durer aussi longtemps que possible la période de doux flottement qui suit le mariage. Le personnage féminin reste pour sa part à peu près aussi creux et docile d'un bout à l'autre du récit. Quant au style d'Hemingway, je me demande en fin de compte si je l'apprécierais davantage dans un texte plus inspiré, il me semble en effet manquer cruellement d'ironie et d'humour, mais je n'en resterai sans doute pas sur ce maigre récit avant de l'enterrer définitivement...

15 mars 2008

Factotum - le film (2005)

Matt Dillon dans la peau de Charles Bukowski, voilà une affiche qui ne me réjouissait pas particulièrement. Après Mickey Rourke dans Barfly, Hollywood nous refaisait le coup de l'asepsie par la beauté. Bukowski n'a jamais été un bellâtre, pourquoi diable s'entêter à le présenter à l'écran sous les traits d'un beau gosse ? Ca, c'était ma première réflexion, pleine d'a priori, car le fait est que Dillon - sans doute plus que Rourke pour ce que j'en ai entendu parler - a réellement cherché à se glisser dans la peau du corrosif écrivain américain. Il a tenu à s'enlaidir (pas franchement convaincant, mais on fait ce qu'on peut avec les moyens du bord), a pris un peu de poids, mais a surtout poussé le mimétisme jusqu'à sa façon de parler, avec cette fameuse  voix grave et nasale, ce débit désinvolte trainant sur les syllabes, l'illusion est de ce point de vue quasiment parfaite, et de ce fait, il convient IMPÉRATIVEMENT de voir ce film en version originale, le doublage français de Dillon étant d'une rare nullité, l'antithèse du travail d'appropriation de Dillon. La performance d'acteur est donc le premier point fort du film. Le réalisateur norvégien Bent Hamer s'est pour sa part attaché à restituer l’œuvre de Bukowski avec une certaine fidélité (notamment au niveau des dialogues qu'on retrouve généralement à la virgule près dans le film), qui est loin d'être toujours de mise lors du passage d'un roman à l'écran. Mais cette volonté manifeste n'empêche pas quelques libertés assez regrettables, comme le désordre dans lequel s'enchainent les scènes en comparaison du roman, ou encore, le choix du lieu de tournage. On peut en effet se demander les raisons qui ont poussé la production à choisir Minneapolis, alors que, bien que le roman nous transporte dans différentes villes de l'est, la ville de Bukowski a toujours été Los Angeles (et c'est à L.A. que le roman se situe majoritairement). Il y avait matière à marcher sur les traces de Bukowski en visitant ses lieux de perdition habituels, comme l'hippodrome de Hollywood Park, les quartiers qu'il fréquentait (à cette époque principalement au coeur de la ville, à quelques kilomètres au sud de Hollywood : Hoover Street, Alvarado...), mais il faudra repasser pour l'authenticité à ce niveau. On peut aussi s'étonner de certains changements opérés sans la moindre justification, ainsi le vieux pervers Wilbur devient Pierre et n'est plus manchot, la lettre d'acceptation de la première nouvelle de Bukowski par une revue littéraire n'est plus lue par Chinaski/Buk mais par sa logeuse en toute fin de film, et j'en passe. Autre point contestable, mais qu'on peut cette fois expliquer par des raisons budgétaires (le film étant produit en indépendant) :  la transposition du récit des années 1940 à nos jours. Les sujets de contestation ne manquent pas, reste tout de même un film relativement honnête, principalement soutenu par la prestation de Matt Dillon, mais qui ne saurait en rien remplacer la lecture du roman. Peut-être le film incitera-t-il des gens à s'intéresser à Bukowski ?  J'ai tout de même quelques doutes, cette adaptation me conforte dans l'idée que cinéma et littérature sont des arts distincts et pas toujours compatibles. Je ne regrette en tout cas pas d'avoir découvert Bukowski par ses écrits, car aussi louables soient les intentions d'un cinéaste, le regard du metteur en scène court-circuite inévitablement une partie de l'esprit original du roman, le choix des scènes étant forcément réducteur, et la liberté de ton au cinéma n'étant en rien comparable à celle d'un écrivain tel que Bukowski.

Petite parenthèse enfin concernant la bande son, belle idée que d'avoir mis en musique des poèmes de Bukowski, d'autant que l'artiste norvégienne qui s'est collé à la tâche (Kristin Asbjornsen) a su tirer remarquablement parti des textes, en les greffant sur une musique émouvante, à l'interprétation habitée (notamment Slow Day).

Charles BUKOWSKI : Factotum

Suite chronologique des Souvenirs d'un pas grand-chose, bien qu'écrit une dizaine d'années plus tôt, Factotum s'attarde sur les premiers pas de Henry Chinaski - l'alter-ego de Bukowski - dans la vie d'adulte. Bukowski revient sur les années qui ont suivi son départ du domicile parental, ses pérégrinations à travers les États-Unis, en quête de son oxygène : l'ivresse. On le suit ainsi à la Nouvelle Orléans, à New-York, à Miami, mais toujours, Chinaski revient à son port d'attache : Los Angeles. On découvre avec étonnement un Bukowski assez fidèle en amour en comparaison de certains de ses autres romans, longtemps fixé à la même femme, Jan, qui lui donne le change dans son jeu de massacre, une femme alcoolique, parfois hystérique, infidèle, paumée, mais qui semble ressentir une réelle affection pour Chinaski/Bukowski. Comme son titre l'indique, Factotum s'attarde avant tout sur la kyrielle de boulots minables que Bukowski exerce par nécessité, sans ne jamais tomber dans la résignation et la docilité des prolos qu'il côtoie. Bukowski ne se plie à aucune règle, ne craint jamais d'être viré, ce que ses patrons ne manquent jamais de faire, et généralement sans tarder. Tour à tour préparateur de commandes, manutentionnaire, gardien de nuit, ouvrier d'entretien, Bukowski enchaine les expériences sans intérêt comme les chapitres de son roman. Il en tire régulièrement des observations à l'incisivité parfois « célinienne » :

"Tu donnais huit heures au patron, mais il en voulait toujours plus. Par exemple, il ne te laissait jamais partir avant 6 heures. Des fois que tu aurais eu le temps de penser."

"Je ne pouvais me décider à lire les offres d'emploi. La seule pensée de m'asseoir en face d'un type derrière un bureau pour lui dire que je cherchais un boulot, que j'étais qualifié, c'était trop pour moi. Franchement, la vie me faisait horreur, tout ce qu'un homme devait faire pour avoir de la bouffe, un pieu et des fringues. Aussi je restais au lit à picoler. Quand on boit, le monde est toujours dehors, mais pour le moment, il ne te tient pas à la gorge."


Mais Bukowski reste Bukowski, avec son style unique, son humour tout aussi particulier, son ignorance des tabous, sa capacité à dépeindre les situations les plus désespérées avec recul et légèreté, et puis son irrésistible besoin de mettre les pieds là où la plupart des écrivains se refusent de se risquer :

"Y'a rien de pire que de terminer une bonne chiée et de se relever pour s'apercevoir que le dévideur de P.Q. est vide. Le pire être humain de la terre mérite de se torcher le cul. Ça m'est arrivé de me relever pour découvrir qu'il n'y avait plus de papier, de chercher le papier protège-sièges et il n'y en avait plus non plus. Tu te lèves pour constater que le tien vient de tomber dans l'eau. Après ça, tu as peu d'alternatives. Celle que j'ai trouvée et qui me satisfait le plus, c'est de m'essuyer avec mon slip, de le coller dans la cuvette, de tirer la chasse et de boucher les chiottes."

Comment ? N'avez toujours pas envie de découvrir Bukowski ?!?

14 mars 2008

Charles BUKOWSKI : Souvenirs d'un pas grand-chose

Au début des années 80, sur l'insistance de son éditeur, Charles Bukowski consentait enfin à se replonger dans les premières années de sa vie. C'est donc une nouvelle fois sous la forme d'une autobiographie à peine déguisée, mettant en scène son double Henry Chinaski, que Bukowski allait faire parler la poudre, ou plutôt exposer plus que d'habitude une facette méconnue (et pourtant toujours bien présente dans ses écrits) de sa personnalité : la tendresse. Ramener à la surface des souvenirs de sa prime enfance ont en effet replongé Bukowski dans une innocence qu'il retranscrit avec une justesse comparable à celle de son maître John Fante, sur la première partie du roman. Bukowski se remémore quelques bons moments d'enfance (le souvenir de son grand-père qu'il n'a pas beaucoup connu), mais on enchaine très vite sur la succession de coups durs qui ont forgé la personnalité de l'écrivain, avec en point d'orgue la brutalité d'un père que Bukowski parvient à décrire sans une once de misérabilisme. La victimisation et le pathos n'ont jamais été la came du vieux Buk, il décrit les faits, nous livre ses sentiments, son détachement vis à vis de la société, qu'il a en fait toujours ressenti et qui l'ont conduit sa vie durant sur le sentier de la marginalité... et d'une liberté absolue. Souvenirs d'un pas grand-chose revient donc sur les vingt premières années de la vie de l'écrivain, une scolarité à l'écart des autres, une sexualité tardive (compliquée par de sérieux problèmes d'acné), inversement proportionnelle à sa découverte de l'alcool, un besoin constant de dire merde aux conventions, l'amenant jusqu'à se laisser approcher à l'université par des nazillons d'opérette pour le seul plaisir de heurter le patriotisme aveugle et exacerbé de la masse qui l'entourait en ces temps de guerre (sans jamais adhérer le moins du monde à leurs idées : "Pourquoi donc est-ce que la Cause de la race supérieure n'attirait à elle que des invalides du corps et de la tête ?"). Chinaski/Buk quitte rapidement l'université, se fait virer par son père, et découvre ce qui rythmera dès lors son existence pour de nombreuses années : boulots merdiques à la petite semaine, chambres d’hôtel miteuses, femmes faciles et cuites à gogo. Une manière de vivre que Bukowski décrit admirablement - avec son cocktail habituel de lucidité, d'humour, de désinvolture et de liberté de ton - dans Factotum, qu'on peut considérer comme la suite de ces Souvenirs d'un pas grand-chose qui me paraissent être une excellente entrée en matière dans l’œuvre de Bukowski, notamment pour les sceptiques rebutés par la réputation sulfureuse de l'écrivain...

4 mars 2008

BUKOWSKI : Le génie de la foule

Note du 10 novembre 2011 :

La version reproduite ici précédemment étant, comme l'avaient remarqué certains visiteurs, tronquée et typographiquement imparfaite, voici la version complète, telle qu'elle figure dans l'anthologie Avec les damnés (1993 / 2000 pour la traduction française).

Les variantes n'étant pas négligeables, et la traduction de la version longue me semblant parfois très sommaire, je laisse les deux versions pour ceux qui voudraient comparer.

Probable que vienne s'y ajouter une troisième version, originale cette fois, dès que je l'aurais trouvée telle qu'elle fut publiée en 1966 dans la plaquette du même nom (The Genius Of The Crowd). Avis à d'éventuels contributeurs.

« 
Il y a assez de traîtrise, de haine,
                       de violence,
d'absurdité chez l'être humain
                       moyen
pour approvisionner n'importe quelle armée n'importe
   quel jour.
ET Les plus Doués Pour Le Meurtre Sont Ceux
   Qui Prêchent Contre
ET Les Plus Doués Pour La Haine Sont Ceux
   Qui Prêchent L'AMOUR
ET LES PLUS DOUÉS POUR LA GUERRE
– FINALEMENT – SONT CEUX QUI
PRÊCHENT LA

                                 PAIX

Ceux Qui Prêchent DIEU
   ONT BESOIN De Dieu
Ceux Qui Prêchent La PAIX
   N'Ont Pas La Paix.

CEUX QUI PRÊCHENT L'AMOUR
   N'ONT PAS L'AMOUR
ATTENTION AUX PRÊCHEURS
Attention A Ceux Qui Savent.

                 Attention
                 A Ceux Qui
                 LISENT
                 TOUJOURS
                 DES LIVRES

Attention A Ceux Qui Soit Détestent
   La Pauvreté Soit Sont Fiers D'Elle

ATTENTION A Ceux Qui Sont Prompts A Glorifier
Car Ils Ont Besoin D'Être GLORIFIÉS En Retour
ATTENTION A Ceux Qui Sont Prompts A Censurer :
Ils Ont Peur De Ce Qu'Ils Ne
Connaissent Pas

Attention A Ceux Qui Recherchent
La Foule : Ils Ne Sont Rien
Seuls

                 Attention
                 A L'Homme Moyen
                 A La Femme Moyenne
                 ATTENTION A Leur Amour

Leur Amour Est Moyen, Tend A
La Moyenne
Mais Il Y A Du Génie Dans Leur Haine
Assez De Génie Dans Leur
Haine Pour Vous Tuer, Pour Tuer
N'importe Qui.

Ne Voulant Pas La Solitude
Ne Comprenant Pas La Solitude
Ils Tenteront De Détruire
Tout
Ce Qui Est Différent
D'Eux

                   Incapables
                   De Créer L'Art
                   Ils Ne
                   Comprendront Pas L'Art

Ils Considéreront Leur Échec
En Tant Que Créateurs
Uniquement Comme L'Échec
Du Monde

Incapables D'Aimer Pleinement
Ils Jugeront Votre Amour
Incomplet
ET ILS VOUS
HAÏRONT

Et Leur Haine Sera Parfaite
Comme Un Diamant
Comme Un Couteau
Comme Une Montagne
COMME UN TIGRE
COMME De La Ciguë

                    Leur Plus Bel
                    ART 
»

++++++++++++++++++++++++++++

VERSION TRONQUÉE :

Il y a assez de traitrise, de haine, de violence,
D'absurdité dans l'être humain moyen
Pour approvisionner à tout moment n'importe quelle armée
Et les plus doués pour le meurtre sont ceux qui prêchent contre
Et les plus doués pour la haine sont ceux qui prêchent l'amour
Et les plus doués pour la guerre - finalement - sont ceux qui prêchent la paix

Méfiez-vous
De l'homme moyen
De la femme moyenne
Méfiez-vous de leur amour

Leur amour est moyen, recherche la médiocrité
Mais il y a du génie dans leur haine
Il y a assez de génie dans leur haine pour vous tuer, pour tuer n'importe qui

Ne voulant pas de la solitude
Ne comprenant pas la solitude
Ils essaient de détruire
Tout
Ce qui diffère
D'eux

Étant incapables
De créer de l'art
Ils ne comprennent pas l'art

Ils ne voient dans leur échec
En tant que créateurs
Qu'un échec
Du monde

Étant incapables d'aimer pleinement
Ils croient votre amour
Incomplet
Du coup, ils vous détestent

Et leur haine est parfaite
Comme un diamant qui brille
Comme un couteau
Comme une montagne
Comme un tigre
Comme la ciguë
Leur plus grand art.


Traduction (pas parfaite) d'un poème de Charles Bukowski, lu par lui-même dans le documentaire Bukowski de John Dullaghan, sorti en dvd chez Wild Side Vidéo (en France).

7 février 2008

Paul Morand, sur la religion

« (...) - Avez-vous l'espérance de l'au-delà ? Parlez-vous avec Dieu ?

- J'estime qu'après m'avoir joué le tour de me mettre au monde c'est à lui de me faire signe le premier. »

Paul Morand, extrait de L'homme pressé.

3 février 2008

Fedor DOSTOÏEVSKI : Crime et châtiment

Comme on peut s'en rendre compte en parcourant la liste des livres commentés sur ce blog, la littérature classique n'est pas franchement ma tasse de thé. La majorité des auteurs que j'ai tenté de lire m'ennuient rapidement. Si j'ai parfaitement conscience de l'impact qu'ont eues ces œuvres sur l'évolution de la société, par l'apport d'idées nouvelles, de regards inconvenants, ou de l'intérêt historique qu'elles représentent pour comprendre une époque, le style précieux et souvent emphatique de la plupart des auteurs des siècles passés me laisse de marbre, quand il ne me rebute pas tout simplement. Pourtant, par vice ou par crainte de passer à côté de quelque chose, je m'entête, je force ma nature, comme ici, avec Dostoïevski, ce chef de file de la littérature russe du XIXème siècle auquel on prête un tempérament assez révolté. Loin d'être déçu par sa fine analyse psychologique du repentir du jeune criminel Raskolnikov, le déroulement de l'histoire de Crime et châtiment est plombé à mon sens par les longueurs que je reproche à la plupart des romans de cette époque. La lecture de certains descriptifs de situations, de lieux (à quoi bon connaitre la disposition précise des meubles dans une pièce ?), rend la lecture assez laborieuse sur certains passages. Des 900 pages que compte l'édition que j'ai lue (différente de l'illustration), il m'a semblé qu'on aurait pu se passer du tiers en dépouillant le texte des passages superflus. Mais vous allez dire : pour qui se prend-il celui là, pour se permettre de donner des leçons à un écrivain aussi illustre ? Pas faux. Le principal intérêt de ce livre, pour moi, c'est donc sa psychologie, le basculement progressif vers la paranoïa la plus aiguë de Raskolnikov est décrit avec une précision sans doute rarement atteinte. Les relations entre les différents personnages sont également rondement menées. A ce titre, le jeu du chat et de la souris que se livrent Raskolnikov et le rusé juge Petrovic est très intéressant, tout comme la relation complexe entre Raskolnikov et le cynique Svidrigailov. L'histoire d'amour entre Raskolnikov et Sonia est à l'inverse peu passionnante, car lestée d'une pudeur embarrassante. Je suis donc toujours à la recherche du roman classique qui me fera chavirer, celui qui ne se perdra pas dans les affres de l'esthétisme indigeste et de l'épique surjoué, mais qui au contraire foncera tête baissée dans les convenances. Je doute que ce roman ait été écrit avant le XXème siècle.

2 février 2008

Jorn RIEL : La maison des célibataires

Une petite excursion au pôle Nord pour se rafraichir les idées. Un très court roman pour s'initier en douceur à la littérature scandinave. Je ne m'attendais à rien de particulier, si ce n'est à trouver un récit léger, sans « prise de tête ». C'est précisément ce qui se dégage de cette sorte de fable sans prétention, dans laquelle le Danois Jorn Riel nous dresse le portrait d'une petite communauté de célibataires endurcis et jouisseurs, dont la seule préoccupation quotidienne est de laisser libre cours à leur incommensurable paresse. Se sentant vieillir, la bande de vieux garçons se retrouve subitement en proie à l’inquiétude quant à son avenir. Ils se mettent alors en quête d'une solution pour assurer leurs vieux jours sans remettre en cause leur penchant sybaritique. Rien de bien original dans ce récit susceptible d'intéresser les plus jeunes, et de divertir rapidement les autres. La concision est un de ses atouts, car un texte plus long eût très certainement amené une lassitude tant le développement de l'histoire est convenu et gentillet. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures, ce minuscule roman est à prendre comme une récréation, et rien de plus.

« (...) C'est toujours fascinant et un peu désolant de voir ce qui arrive à un homme une fois qu'une femme lui a mis le grappin dessus. Dans ce cas, c'est comme s'il ôtait, sans honte, sa vieille existence comme une chemise sale et en revêtait une nouvelle sans même vérifier si elle lui allait. (...) » (pp.37-38)

1 février 2008

Jim HARRISON : Nord-Michigan

Tout comme Un bon jour pour mourir, qui m'avait beaucoup enthousiasmé cet été, Nord-Michigan est l'un des premiers romans de Jim Harrison. L'auteur y traite du difficile passage du cap de la quarantaine, à travers l'histoire de Joseph, instituteur de campagne, fils de fermiers d'origine suédoise. Joseph vit seul avec sa mère mourante, a la tête pleine de projets qu'il n'a jamais eu la volonté de réaliser, et ploie sous le poids des sollicitations de son amie d'enfance Rosealee qui après six ans de relations amoureuses complexes serait désireuse de s'engager. De plus, l'école dans laquelle il enseigne va fermer, amenant Joseph à se remettre en question professionnellement. Doit-il accepter une mutation, ou reprendre la ferme de ses parents ? Joseph est en plein doute et n'a aucune idée de ce qu'il désire vraiment. Sa vie se complique lorsque Catherine, une élève de 17 ans aussi jolie qu'instable et délurée, se met à lui tourner autour. Joseph ne tarde pas à céder aux avances de la jeune fille, en dépit de son amour pour Rosealee et du poids de la morale. A travers la jeunesse de Catherine, Joseph se sent revivre, mais les échéances qui le guettaient le rattrapent vite. Il y a sans doute beaucoup de Jim Harrison dans le personnage de Joseph, qui souffre comme lui d'une infirmité (une jambe grièvement blessée durant son enfance, Harrison ayant pour sa part perdu un œil dans son enfance), des origines suédoises (que Harrison tient de sa mère), et bien sûr le Michigan où Harrison a lui-aussi grandi, sans oublier l'amour de la nature partagé par l'auteur et son personnage. Comme sans doute dans tous les romans de Jim Harrison, cette nature est omniprésente, son souci du détail rend palpable au lecteur cet environnement rural chargé d'authenticité. Les personnages sont comme toujours très forts et attachants, et l'histoire suffisamment prenante pour retenir l'attention tout au long du roman. Je garde toutefois une préférence pour Un bon jour pour mourir, peut-être pour le côté plus impliqué de son récit à la première personne (peut-être Harrison était-il gêné par l'aspect immoral de l'aventure de Joseph avec la jeune Catherine, toujours est-il qu'il a opté pour une narration à la troisième personne que je trouve généralement moins captivante), mais cette plongée existentialiste dans l'Amérique des années 60, piétinant un peu la morale chrétienne sans pour autant donner dans l’obscène, reste une lecture tout à fait recommandable pour qui s'intéresserait à Jim Harrison. Prochaine étape en ce qui me concerne : Dalva.

31 janvier 2008

Patrick BESSON : La femme riche

Depuis quelques années, lorsqu'un Figaro Magazine me tombe dans les mains, la première (et parfois la seule) chose que je m'empresse de lire, c'est la chronique de Patrick Besson, son "plateau télé" où il s'emploie chaque semaine à dégommer en règle la médiocrité des programmes du PAF, épinglant à travers ceux-ci l'absurdité et la vacuité de notre époque. Ses armes sont toujours les mêmes : humour grinçant, sens de la dérision, ironie cinglante. J'étais curieux de voir à quoi pouvaient ressembler ses romans, et la seule difficulté consistait dès lors  à choisir par quel bout commencer, la bibliographie de l'écrivain/journaliste comptant déjà plusieurs dizaines d'ouvrages. Mon choix se porta dans un premier temps sur La femme riche, un roman concis (moins de 130 pages) à lire d'une traite. Et difficile de faire autrement lorsque qu'on se plonge dans le récit de cet apprenti tueur à gages dont la mission - croit-il - est d'éliminer la femme d'un chirurgien esthétique dont il tombera hélas vite amoureux (de la femme, non du chirurgien !). On navigue dans le registre du thriller dans le sens où il y a un suspense qui nous tient en haleine jusqu'à la fin du récit, mais un thriller haut de gamme, qui ne se prend pas au sérieux, et truffé de phrases qui font "zing" pour reprendre l'expression d'une "blogueuse" qui ne fait pas moins zing. Le style de Besson est fidèle à ses chroniques, décapant, décalé, et finalement terriblement addictif. On ne peut lâcher le bouquin avant d'en avoir vu le bout, pour finalement en arriver à la conclusion qu'il faudra vite en dégotter un autre !

30 janvier 2008

Jim Harrison, sur les saisons de la vie

« (...) il alla s'asseoir au bord de l'étang pendant deux longues heures, pour observer les oiseaux et la quiétude de cette immobilité prolongée dans un environnement d'une telle beauté l'amena à se poser des questions fondamentales sur l'humanité. Il s'arrêta à l'idée que la vie n'était qu'une danse de mort, qu'il avait traversé trop rapidement le printemps et puis l'été et qu'il était déjà à mi-chemin de l'automne de sa vie. Il fallait vraiment qu'il s'en sorte un peu mieux parce que chacun sait à quoi ressemble l'hiver. »

Jim Harrison, dans Nord-Michigan (1976).
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