9 mai 2008

Douglas COUPLAND : Hey, Nostradamus !

Après la lecture de Génération X, je ne pensais pas me remettre de sitôt à la lecture d'un roman de Douglas Coupland. Non pas que j'étais déçu, loin de là, mais j'avais simplement une liste de bouquins et d'auteurs à découvrir prioritairement. Et puis un article sur un blog que je lis de temps à autre me donnait envie de m'y remettre, avec ce neuvième roman du Canadien. Hey, Nostradamus! est présenté comme une critique des excès de la religion, mais c'est aussi un roman sur la violence de notre époque. Découpé en quatre parties, le livre se présente sous la forme de confessions de quatre personnages dont la vie est bouleversée par un évènement tragique.

En 1988, dans la région de Vancouver, trois élèves détraqués se livrent au massacre de leurs camarades dans l'enceinte de leur lycée. Au centre de la tragédie, Cheryl et Jason, deux jeunes élèves endoctrinés par un mouvement religieux très à cheval sur les principes, mariés en secret pour goûter aux plaisirs charnels sans trop se mettre en porte-à-faux avec leur morale chrétienne. Le couple est séparé par le décès de Cheryl dans la tuerie, peu après qu'elle ait annoncé sa grossesse à Jason. Le premier témoignage est celui de la jeune fille, avant et après le massacre, vivante et post mortem donc, et c'est à mon avis le premier couac du roman.

Coupland semble hésiter entre une espèce d'éloge de l'athéisme du bout des lèvres, et une soumission au folklore religieux avec cette resucée sur le thème de la vie après la mort. La deuxième confession, de loin la plus intéressante à mon avis, est celle de Jason, devenu une demie épave 11 années après le massacre, bientôt trentenaire mais incapable de se relever du drame, auquel s'est ajouté la mort de son frère un an plus tôt.

A ce moment, le roman dérive un peu vers le roman de genre, le thriller plus précisément, et c'est aussi un des points qui me gène dans ce livre, chose que je n'avais pas vraiment trouvé dans Generation X ou alors en très faible quantité. Au lieu de se concentrer sur le mal être du personnage, Coupland se laisse distraire par une histoire annexe un peu rocambolesque, à la Douglas Kennedy, qu'on retrouve ensuite jusqu'à la fin du roman, notamment dans le témoignage de Heather, la petite amie de Jason, qui trois années après la confession de ce dernier, nous raconte leur rencontre, l'apaisement de Jason à son contact, et puis aussi [attention révélation !] la disparition de ce dernier quelques mois plus tôt. Encore une fois, le roman glisse un peu dans le scabreux, avec une tentative de pastiche de mielleuserie sentimentalo-spirituello-cucul, une idylle entre deux mondes par voyante interposée façon Demi Moore et Patrick Swayze dans Ghost...

Même si le rationnel l'emporte ensuite, le roman ne retombe pas vraiment sur ses deux pattes, l'explication est un peu farfelue, et cette passade olé olé alourdit le récit de quelques longueurs dont je me serais bien passé. Dernier témoignage, celui de Reg, le père de Jason, qui après une vie dévouée à son Dieu, envers et contre ses proches, se réveille... trop tard...

Juste au moment où je commençais à m'assoupir, car malgré des qualité indéniables, ce roman, de mon point de vue, n'atteint pas le niveau de Génération X, plus sobre, plus universel. Je crois finalement avoir un léger problème avec cette génération d'écrivains, celle des Coupland, Ellis, McInerney et j'en passe, qui si elle ne manque certainement pas de talent, en particulier pour avoir su retranscrire l'état d'esprit d'une génération et d'une époque, en a également allègrement absorbé son style, par un côté clinquant, superficiel tout en s'en défendant et en jouant la carte de la sensibilité. Le problème avec ce genre d'auteurs, c'est qu'ils décrivent les autres sans jamais vraiment se livrer eux-mêmes. A leurs débuts assez captivants, ils me paraissent s'enfermer en vieillissant dans une sorte de conformisme de l'écrivain dans le vent. La génération précédente était à mon sens plus vraie, plus authentique. Je me demande si, comme Bukowski, je ne préfère pas simplement les écrivains morts... Ceci ne m'empêchera cependant pas de lire ou relire des Ellis, McInerney ou même Coupland... Vive les paradoxes !

La crise d'adolescence, vue par John Fante

« (...) Il s'appelait Arturo, mais détestait ce prénom : il aurait aimé s'appeler John. Son nom de famille était Bandini, mais il aurait préféré s'appeler Jones. Sa mère et son père étaient italiens, il les aurait voulus américains. Son père était poseur de briques, il l'eût préféré lanceur pour les Chicago Cubs. Ils habitaient Rocklin, Colorado, dix mille habitants, et il voulait habiter Denver, à trente milles de là. Son visage était couvert de taches de rousseur qu'il haïssait. Il fréquentait une école catholique, il aurait préféré une école publique. Sa petite amie s'appelait Rosa, mais elle le détestait. Enfant de chœur, il était un vrai diable et haïssait les enfants de chœur. Il voulait être bon garçon, mais il redoutait d'être bon garçon, car il craignait que ses amis ne le traitent de bon garçon. Il s'appelait Arturo et il aimait son père, mais il vivait dans la hantise du jour où il serait assez costaud pour rosser son père. Il adorait son père, mais prenait sa mère pour un mijaurée doublée d'une idiote.
Pourquoi sa mère ne ressemblait-elle pas aux autres mères ? C'était ainsi, il le constatait chaque jour. La mère de Jack Hawley l'excitait : elle avait une façon de lui donner des petits gâteaux qui accélérait le rythme de son cœur. La mère de Jim Toland avait des jambes sublimes. La mère de Carl Molla portait en tout et pour tout une robe légère ; quand elle balayait la cuisine des Molla, il se campait sur le porche de derrière pour regarder Mme Molla balayer, ses yeux écarquillés dévorant les ondulations de ses hanches. Il avait douze ans à l'époque, et quand il comprit que sa mère ne l'excitait pas, il se mit à la haïr en secret. Il surveillait toujours sa mère du coin de l’œil. Il aimait sa mère, mais il la détestait. (...) » 

Bandini, de John Fante (1938) ; traduction de Brice Matthieussent (1985).

John FANTE : Bandini

Dans Demande à la poussière, John Fante revenait sur les débuts de sa carrière d'écrivain, lorsque, sous les traits de son alter ego Arturo Bandini, jeune adulte, il tentait de survivre à Los Angeles, tiraillé entre la réalité de son statut de zonard qui passe son temps à tirer le diable par la queue et ses excès de confiance en lui-même et son propre talent. Ce personnage fantasque, on le retrouve quelques années plus tôt, en pleine crise d'adolescence (dont il ne s'était, il est vrai, pas tellement débarrassé dans Demande à la poussière), dans Bandini. Fante nous raconte son adolescence au Colorado, l'occasion de dresser le portrait de sa petite famille de ritals déracinés, pauvres et complexés. L'auteur s'attarde en particulier sur ses parents : sa mère bigote et effacée, et son père, cavaleur et égoïste, peu concerné par le sort de sa petite famille. Fante excelle dans l'art de retranscrire son environnement avec les yeux d'un gosse de 14 ans, avec toutes les contradictions qu'on peut vivre à cet âge, mélange d'admiration et de rejet envers ses parents, besoin d'affection et incapacité à dévoiler ses sentiments à la fille de ses rêves... Il s'agit d'un récit à la troisième personne, mais plus à la manière d'une introspection désincarnée que d'un regard extérieur narrant froidement une histoire. Suivant sa recette habituelle, Fante parsème le texte d'un cocktail de drôlerie et d'émotion, toujours dans un style direct et moderne (le roman fut quand même écrit en 1938 !). Un peu moins brillant que dans Demande à la poussière toutefois, mais vraiment d'un cheveu !
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