26 août 2008

Robinson JEFFERS : Be angry at the sun

That public men publish falsehoods
Is nothing new. That America must accept
Like the historical republics corruption and empire
Has been known for years.

Be angry at the sun for setting
If these things anger you. Watch the wheel slope and turn,
They are all bound on the wheel, these people, those warriors.
This republic, Europe, Asia.

Observe them gesticulating,
Observe them going down. The gang serves lies, the passionate
Man plays his part; the cold passion for truth
Hunts in no pack.

You are not Catullus, you know,
To lampoon these crude sketches of Caesar. You are far
From Dante's feet, but even farther from his dirty
Political hatreds.

Let boys want pleasure, and men
Struggle for power, and women perhaps for fame,
And the servile to serve a Leader and the dupes to be duped.
Yours is not theirs.


Robinson Jeffers (1941)

NB: Je ne me risque pas à le traduire en français, par crainte de dénaturer le propos de l'auteur, mais le sens global du poème ne me semble pas très difficile à saisir.

Philip ROTH : Portnoy et son complexe

Découverte de cet auteur américain par ce roman, l'un de ses premiers, publié à la fin des années 60, et l'information n'est pas sans importance, car s'il n'était certainement pas le premier à le faire, Philip Roth faisait quand même partie des auteurs qui contribuèrent à sortir la littérature des convenances des siècles passés. Il ne faut pas le cacher, Portnoy et son complexe, de nos jours, peut encore choquer certains lecteurs par sa crudité. Le sexe y est abordé sans tabou, les attaques envers la religion (voire les religions) et le communautarisme y sont assénées de manière assez virulente, surtout replacé dans le contexte de l'époque où le franc parler n'était pas toujours de rigueur.

Portnoy et son complexe, c'est la confession que fait Alex Portnoy à son psychanalyste, l'introspection à laquelle se livre ce jeune homme juif afin de percer l'abcès que représente son rapport chaotique aux femmes. Les causes ne tardent pas à être désignées lorsque le narrateur revient sur son enfance, et le comportement castrateur et presque incestueux de sa mère. Son rapport avec ses parents apparait d'abord comme l'origine du mal, Alex ne manque de rien, et certainement pas d'amour, mais il étouffe depuis sa plus tendre enfance dans ce cocon protectionniste qu'est sa propre famille. La faiblesse de son père s'avère également lui poser un sérieux problème, il lui manque l'image virile du père pour se forger sa propre image d'homme. Alex est pourtant un obsédé sexuel de premier ordre, il multiplie les conquêtes mais ne sait comment retenir une femme. Dans sa vie d'adulte, la pression parentale est toujours présente, mais on devine la prédominance de la morale et la culture de sa communauté dans ses nombreux troubles.

" (...) Imaginez la chose : supposons que je me décide et que j'épouse A avec ses délicieux nichons et ainsi de suite, qu'arrivera-t-il lorsque B qui en possède d'encore plus délicieux - ou en tout cas de plus nouveaux - fera son apparition ? Ou C qui a une façon spéciale de remuer son cul dont je n'ai encore jamais fait l'expérience ; ou De, ou E, ou F. J'essaie d'être sincère vis-à-vis de vous, Docteur - parce qu'avec le sexe l'imagination humaine galope jusqu'à Z et ensuite au-delà ! Nichons, cons, langues, lèvres, bouches, langues et trous du cul ! Comment puis-je renoncer à ce que je n'ai même jamais connu pour une fille qui, si délicieuse et provocante qu'elle ait pu être un jour, me deviendra inévitablement aussi familière qu'une miche de pain ? Pour l'amour ? Quel amour ? Est-ce ce qui lie tous les couples que nous connaissons - ceux qui du moins se soucient de se laisser lier ? N'est-ce pas quelque chose qui s'apparente à la faiblesse ? N'est-ce pas plutôt la commodité, l'apathie et la culpabilité ? N'est-ce pas plutôt la crainte, l'épuisement, l'inertie, la veulerie pure et simple, beaucoup, beaucoup plus que cet "amour" dont les conseillers matrimoniaux,  les auteurs de chansons et les psychothérapeutes ne cessent de rêver ? Je vous en prie, pas de foutaises entre nous sur l'"amour" et sa durée. Et voilà pourquoi je demande : comment puis-je épouser une femme que j'"aime" sachant pertinemment que d'ici cinq, six ou sept ans je vais retrouver dans les rues en quête d'une nouvelle chatte toute fraîche - et pendant ce temps-là, ma fidèle moitié qui m'a créé un si charmant foyer, etc., supporte avec courage sa solitude et sa disgrâce ? Comment pourrais-je affronter ses terribles larmes ? Je ne pourrais pas. (...)"

" (...) L'aube venue, on m'avait fait comprendre que je représentais la somme de tout ce qu'il y avait de plus honteux dans "la culture de la Diaspora". Ces siècles et ces siècles d'errance avaient produit justement des hommes désagréables dans mon genre - terrifiés, sur la défensive, autodestructeurs, émasculés, et corrompus par la vie dans le monde des Gentils. C'étaient les Juifs de la Diaspora exactement comme moi qui étaient allés par millions à la chambre à gaz sans jamais lever la main contre leurs persécuteurs, qui ne savaient même pas défendre leur vie avec leur sang. La Diaspora ! Le mot même la remplissait de fureur.
Lorsqu'elle eut terminé, je déclarai : "Merveilleux ! Et maintenant baisons." (...)"


Ce livre est un moyen intéressant de cerner le problème du communautarisme, on sort de l'angélisme du multiculturalisme pour s'apercevoir que, quel que soit son origine ethnique ou religieuse,  l'homme se complait par nature dans un univers qui lui ressemble, et que, au mieux, il se méfie de tout ce qui sort du cadre de son quotidien. Au pire, il haït l'autre, celui qui ne partage pas sa vision de la vie, et en cela, en dépit de tous ses troubles comportementaux, Alex Portnoy sort du lot en luttant depuis son enfance contre cette vision égotiste de l'existence. Il est attiré par les "shikse" (mot yiddish pour désigner toute femme non juive) autant par vice que par besoin de s'affranchir des bornes intellectuelles fixées par sa communauté, de même qu'il exècre toutes pratiques religieuses. Au fond, dans sa perversion, Alex s'avère un peu être le modèle à suivre, preuve que le mal n'est pas toujours là où le plus grand nombre le désigne.

" (...) La première distinction que vous m'ayez appris à faire, j'en suis certain, n'était pas entre le jour et la nuit ou le chaud et le froid, mais entre les goyische et les Juifs ! Mais maintenant il se trouve, mes chers parents, alliés et amis assemblés qui se sont réunis ici pour célébrer mon bar mitzvah, il se trouve, bande de ploucs, bande de ploucs étriqués (...), il se trouve que l'existence ne se borne pas tout à fait au contenu de ces écoeurantes catégories ! Et au lieu de pleurer sur celui qui refuse à l'âge de quatorze ans de jamais remettre les pieds dans une synagogue, au lieu de gémir sur celui qui a trouné le dos à la Saga de son peuple, versez des larmes sur vous-mêmes, créatures pathétiques - qu'attendez-vous - toujours à sucer, sucer ces aigres raisins de la religions ! Juifs, Juifs, Juifs, Juifs, Juifs ! Elle me sort déjà des oreilles, la Saga douloureuse des Juifs ! Rends-moi un service, mon peuple, et ton douloureux héritage, fous-le-toi dans ton cul douloureux - Il se trouve que je suis également un être humain ! (...)"

" (...) Oui, les seuls êtres au monde dont, me semble-t-il, les Juifs n'ont pas peur sont les Chinois parce que, un, la façon dont ils parlent l'anglais fait de mon père l'égal de lord Chesterfield ; deux, ils n'ont de toute façon à l'intérieur du crâne qu'une poignée de riz bouilli ; et trois, pour eux, nous ne sommes pas des Juifs mais des Blancs - et peut-être même des Anglo-Saxons. Vous vous rendez compte ! Pas étonnant que les serveurs ne puissent nous intimider. Pour eux, nous ne sommes qu'une quelconque variété de Wasp à grand nez ! (...)"

25 août 2008

Charles BUKOWSKI : Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau

Comme souvent, c'est à la demande de son éditeur que Charles Bukowski s'est penché sur cet ouvrage quelques années avant sa mort. A cette époque, l'écrivain se savait condamné par la maladie (cancer), et c'est encore plus vive et poignante qu'on retrouve sa légendaire liberté de ton. Le capitaine est parti déjeuner... se présente sous la forme d'un journal intime rédigé durant un an et demi, entre août 1991 et février 1993 ; Buk raconte les derniers mois de son existence, sans jérémiade, l'écrivain attend la mort mais trouve le courage de regarder une dernière fois la vie en face, droit dans les yeux. Dans ce livre, Bukowski est plus touchant que jamais, sa fragilité et sa sagesse l'amènent à des réflexions d'ordre métaphysique dont la justesse nous percute à chaque paragraphe. Et le mieux est encore de laisser la parole à l'auteur :

" (...) Se lamenter sur un cadavre est aussi inconséquent que de verser des larmes sur une fleur qu'on vient de couper. L'horreur, ce n'est pas la mort mais la vie que mènent les gens avant de rendre leur dernier soupir. Ils n'ont aucune considération pour elle et ne cessent de lui pisser, de lui chier dessus. Des copulateurs sans conscience. Ils ne s'obsèdent que sur la baise, le cinoche, le fric, la famille, tout ce qui tourne autour du sexe. Sous leur crane, on ne trouve que du coton. Ils gobent tout, Dieu comme la patrie, sans jamais se poser la moindre question. Mieux, ils ont vite oublié ce que penser voulait dire, préférant abandonner à d'autres le soin de le faire. Du coton, vous dis-je, plein le cerveau ! Ils respirent la laideur, parlent et se déplacent de manière tout aussi hideuse. Faites leur donc entendre de la bonne musique, eh bien ils se gratteront l'oreille. La majorité des morts l'étaient déjà de leur vivant. Le jour venu, ils n'ont pas senti la différence. (...)"

" (...) Vieillir est très étrange. Pour l'essentiel parce qu'on passe son temps à se répéter qu'on se décatit, qu'on décline. Ainsi, à chaque fois que je me retrouve sur l'escalator d'Hollywood Park, je ne peux m'empêcher de m'examiner dans l'un des miroirs latéraux. Au vrai, je n'y vais pas franco, je l'attaque de biais. par en dessous, avec un demi-sourire prudent. Eh bien rassure-toi, c'est moins désastreux que tu l'avais imaginé, même si tu ressembles à une bougie qui aurait perdu sa mèche. Tant pis ! T'as quand même baisé les dieux et fait la nique à la marche du temps. Logiquement, on aurait dû t'enterrer voilà trente-deux ans. Je me suis offert un rab d'atmosphère, un surplus de périscope sur l'inhumaine comédie. (...)"

" (...) Je n'ai jamais placé mes espoirs dans la raison ou dans la justice. Jamais, au grand jamais. Peut-être cela explique-t-il pourquoi je me suis toujours gardé d'écrire des livres à thèse. Pour moi, la communauté tout entière est frappée de non-sens, et personne n'y changera quoique ce soit. On perd son temps à vouloir bonifier quelque chose d'aussi stérile. (...)"

" (...) Quoi ? J'aurais pu être utile à quelque chose ? Avocat ? Médecin ? Sénateur ? De la foutaise, comme le reste. Ils se croient le nez hors de la merde alors qu'ils en bouffent tant et plus. Ils se sont piégés dans leur propre système, et ils ne peuvent plus en sortir. D'ailleurs, quasiment aucun d'eux n'aime ce qu'il fait. Mais quelle importance, puisqu'ils se calfeutrent dans un cocon. (...)"

" (...) L'univers tient dans un gros sac de merde déchiré de partout et jamais rafistolé. Je ne peux rien y changer. Toutefois, si j'en crois les lettres que je reçois, mes livres auraient tiré pas mal de gens d'un mauvais pas. Tel n'était pas mon but, je n'écris que pour me sauver moi-même. J'ai toujours été asocial, et jamais je ne me suis adapté. Dès l'école, j'ai découvert ma marginalité. Ne serait-ce que parce que j'y ai appris que je ne pouvais apprendre que lentement. Les autres élèves enregistraient tout au quart de seconde, pas moi qui ne retenais que dalle. Pas la moindre bribe de savoir qui ne m'apparaissait baignant dans une lumière crépusculaire et intimidante. J'avais tout du fou. Sauf que, même lorsque j'offrais les apparences de la déraison, je savais que la réalité était plus complexe. Dans un recoin de mon être, j'avais réussi à dissimuler de quoi me protéger, un petit rien insaisissable. (...)"


Bukowski n'oublie pas non plus son humour, même face à la mort. Son quotidien est plus que jamais consacré à l'observation des autres, que ce soit au champ de course où il passait la plupart de ses journées, ou bien au volant de sa voiture, toutes les occasions sont bonnes pour affûter son jugement, plus tranchant que jamais. On se plait aussi à lire des moments plus légers, liés bien souvent à sa découverte du confort matériel dans sa petite villa du sud de Los Angeles où il vit avec sa femme Linda : piscine, jacuzzi, et surtout, l'ordinateur, cet outil si pratique qui bien souvent émerveille Bukowski (sauf quand la page soigneusement noircie se transforme en écran bleu) et lui permet de gagner un temps précieux alors que ses jours sont définitivement comptés.
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