Le cheminement politique de Jean Cau est plutôt déroutant. Né dans l'Aude en 1925 dans une famille pauvre, c'est assez naturellement dans les valeurs de gauche que le futur journaliste et écrivain se reconnait d'abord. Il évolue longtemps dans le microcosme littéraire germanopratin et reste plus de dix ans le secrétaire particulier de Sartre qui, en tant qu'homme, marquera durablement Jean Cau.
Mais Jean Cau a le sens critique de l'authentique journaliste et c'est une grande gueule. A plusieurs occasions dans les années 1960, il froisse les belles idées de ses pairs, et l'inéluctable finit par se produire : il vire de bord et épouse en secondes noces une droite à tendance réactionnaire. Ou plus exactement peut-être, comme l'écrit Alain Delon dans sa très bonne préface : une droite résistante :
« (...) toute sa vie, ce gaulliste fidèle a été un résistant. Résistance à la gauche sartrienne dont il provenait ! Résistant à la connerie des hommes qui l'étouffait ! Résistant à l'Argent roi qu'il vomissait ! Résistant à l'impérialisme américain qu'il fustigeait ! Résistant à la Mitterrandie qu'il exécrait ! Résistant à la droite gestionnaire qu'il abhorrait ! Résistant à la décadence que le monde moderne engendrait ! (...) »
Bref, Jean Cau était un bel emmerdeur, et il s'en flatte d'ailleurs dans ce petit livre au ton goguenard, dans lequel il s'employait, quelques années avant sa mort, à rendre compte de ses errements honorifiques. Nous sommes donc en 1989 et, nous dit Jean Cau, à l'insistance de quelques amis académiciens (dont Jean Dutourd) qu'il ne saurait froisser, l'écrivain se laisse aller à ce qu'il présente comme l'acte le plus déshonorant de sa vie : il se porte candidat à un fauteuil de l'honorable Académie Française.
Tout au long de ce petit livre posthume, Jean Cau s'accroche à cette image de trublion, d'homme singulier n'ayant pas sa place dans ce temple de la sagesse affectée et de la courtoisie d'apparat, et c'est sans doute là que le récit pèche. Jean Cau cite Jean d'Ormesson, qui expliquait son appartenance à la Maison du quai Conti par ces mots à la fois drôles et lucides : « Pour me rassurer. La vanité l'emportait sur l'orgueil. (...) ». L'explication de Jean Cau, elle, semble un peu manquer de cette lucidité. Car derrière la dérision et l'extravagance de sa démonstration, la vanité - toute naturelle - motivant pareille entreprise ne saurait tout à fait se cacher.
Si le récit manque sans doute un peu de sincérité, il reste néanmoins un témoignage intéressant sur les usages d'une institution. Les rouages d'une élection y apparaissent sans fard : la lettre de candidature et l'entretien auprès du Perpétuel, d'abord ; le racolage auprès des Immortels électeurs, ensuite, avec tout ce que cela implique de flatterie, de fausseté, de calcul pour s'attirer les sympathies. Et puis apparaît toute la petite cuisine interne à l'Académie, les intrigues inhérentes à toute institution qui plus est lorsqu'elle est prestigieuse, les vieilles querelles, les inimitiés rances, les conflits d'idéologies, etc... Tous ces détails qui font des Immortels des êtres très communs aux mortels.
« (...) l'Académie ne serait pas chose humaine si quarante messieurs, à moins d'y être complètement ramollis par de cotonneuses indulgences, n'y contredisaient la vision rousseauiste que chante son Perpétuel. Elle est humaine, l'Académie. On s'y déteste, on s'y jalouse, on s'y guette, on y intrigue, on y ment, c'est humain et ça n'empêche pas de se serrer la main. La nature humaine étant pour moi sans surprises et l'éthologie m'ayant donné quelques lumières sur le comportement des hardes, hordes, groupes, troupeaux, clans et tribus, aucune pâleur n'envahissait mon visage lorsque j'entendais : « X est un con, Y un vieux gâteux, Z un fouteur de merde, V un intrigant fébrile, Q un menteur, B un opportuniste, T un caractériel, S un pauvre type, R une girouette, L un traître né, etc. (...) »
Enfin, ce livre est aussi l'occasion, renouvelée, pour Jean Cau, de piocher dans ses marottes, pour régler des comptes (contre ses adversaires politiques – François Mitterrand en tête, pour lequel Cau éprouvait manifestement une aversion obsessionnelle, confinant dans ce texte à une certaine drôlerie – ou bien des personnalités littéraires qu'il estime surfaites) ou nous délivrer quelques petites saillies contre l'époque qu'il exècre.
« (...) Des livres, qui n'en écrit pas ? De plongeurs sous la mer armés de caméras, de commissaires-priseurs, d'austères philosophes, d'anciens critiques de théâtre, de médecins, de professeurs lourds titubant sous le poids des diplômes, d'hommes politiques, d'avocats, nous n'en manquons pas, heureusement, mais la denrée reste plus rare que celle des faiseurs de livres à laquelle j'appartiens. Nous sommes légion. (...) »