25 décembre 2012

Nietzsche, sur les poètes


« Le poète voit dans le menteur son frère de lait qu'il a privé de son lait ; aussi ce dernier est-il demeuré misérable et n'est-il même pas parvenu à la bonne conscience. »

Friedrich Nietzsche, Le gai savoir (1882) ; GF Flammarion pour l'édition de 1997.

Cioran, sur le messianisme


« Chaque fois que cela ne va pas et que j'ai pitié de mon cerveau, je suis emporté par une irrésistible envie de proclamer. C'est alors que je devine de quels piètres abîmes surgissent réformateurs, prophètes et sauveurs. »

Emil Cioran, De l'inconvénient d'être né (1973) ; Gallimard / Folio.

22 décembre 2012

Louis-Ferdinand Céline, sur les mondanités


« (...) Rien n'est plus "monroviesque", plus farce en fait, en pratique, que cette drôle de prétention des salons au "bon goût" ... au "raffinement" ... Dans n'importe quel salon, en dix minutes d'assemblage, il se commet plus d'impairs, d'horreurs de goût et de tact, que dans tous les Corps de garde de France en dix ans... Le seul fait d'aller dans le monde dénote déjà chez le bonhomme une impudeur de cochon... une sensibilité de bûche. Le Monde, c'est un vrai paradis pour les sapajous exhibitionnistes. (...) »

Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre (1937)

20 décembre 2012

Franco LA CECLA : Contre l'architecture

Dans le premier chapitre de Contre l'architecture, Franco La Cecla nous expose les raisons pour lesquelles, après des études d'architecture, il renonça à exercer cette profession dévoyée par ce qu'il appelle les « archistars », ces architectes globe-trotters mégalomanes qui de Paris à New York, ou de Shanghai à Brasilia, ont entrepris depuis trop longtemps et sans que personne ne leur tienne réellement tête, une vaste entreprise d'enlaidissement et d'uniformisation de la planète.

L'entame de cet essai prend des airs de pamphlet lorsque Franco La Cecla multiplie les charges contre ces architectes vedettes dont il dénonce l'inconséquence et même l'abjection de l'idéologie qu'ils promeuvent. Le gourou Hollandais Rem Koolhaas en prend particulièrement pour son grade, tandis que d'autres, et plus particulièrement Renzo Piano, ont droit à plus d'indulgence, et c'est un point qui pose problème dans ce livre, car à s'intéresser d'un peu plus près au travail des uns et des autres, on peine sérieusement à faire la distinction entre l'architecte nuisible et le plus méritant. Il se trouve qu'un début d'explication vient en fin de livre, lorsque l'auteur évoque sa collaboration étroite avec l'architecte aux bons points.

« (...) La ville de New York est bien vieille, comme l'est d'ailleurs la modernité, autre concept dont les architectes se sont entichés. Koolhaas reproche à ses collègues de ne pas être assez « modernes », tandis que les Chinois n'hésitent pas à construire des millions de mètres cubes, car la modernité passe par le gigantisme et la vitesse. Pourtant, c'en est bien fini de la modernité, c'est une chose passée de mode, mais les architectes s'évertuent à en prolonger l'agonie pour des raisons bassement corporatistes. (...) » (pp.20-21)

« (...) Quand on entend Koolhaas prêcher à tout-va qu'il faut rester moderne « sans trop se poser de question », on attend qu'il nous explique pourquoi la modernité devrait être un objectif. En paraphrasant Bruno Latour, on peut rétorquer que jamais les villes n'ont été modernes. (...) » (pp.30-31)

Mais résumer ce livre à une entreprise de copinage serait quand même très injuste. On trouve beaucoup de pertinence dans le jugement que porte cet esthète érudit sur l'architecture contemporaine. En cela, ses thèses concordent avec celles d'un autre architecte, français celui-là, David Orbach, qui comme Franco La Cecla fait le lien entre architecture contemporaine et capitalisme mondialisé. La Cecla déplore notamment les connivences entre les architectes et les grandes marques, et condamne leur tendance à raisonner eux-mêmes comme ces marques, usant de concepts fumants, et de procédés grossiers tels le gigantisme aux seules fins de faire parler d'eux. D'une certaine manière, La Cecla pointe le fait que les architectes d'aujourd'hui aient renoncé à l'art pour ne plus porter d'intérêt qu'à la marchandise, sans pour autant, bien évidemment, se départir de cette posture artistique aussi grotesque qu'arrogante dont ils ne manquent pas d'abuser.

« (...) Loin d'incarner la mauvaise conscience néocapitaliste du marché immobilier, les architectes actuels ne sont, pour la plupart, que des amateurs inconséquents qui se font passer pour des artistes publics. » (p.23)

L'analyse de Franco La Cecla est étayée tout au long du livre par des citations souvent très intéressantes, notamment de l'écrivain Robert Byron, mais aussi d'autres spécialistes plus actuels de la question qui, en plus d'affiner ou d'orienter les thèses de l'Italien, démontrent qu'un mouvement de réaction prend forme depuis quelques années un peu partout dans le monde occidental. On en parle peu ou pas du tout dans les médias, mais comme le prêche David Orbach dans les conférences qu'il donne régulièrement sur le thème de la laideur architecturale contemporaine : cette forme de pollution urbaine n'est pas une fatalité. Mais pour changer la donne, il conviendrait d'abord de décomplexer l'expression d'une opinion systématiquement rejetée par une élite omnisciente comme l'avis infondé de rustres ignares, et tirer une fois pour toute un trait sur les aberrations commises depuis près d'un siècle avec l'émergence du mouvement moderne, rompre avec la rupture des modernes - et donc avec la médiocrité et la pauvreté de ces fossoyeurs de l'art - en reprenant le fil de l'évolution des styles à partir de l'Art Nouveau. Vaste chantier...

« Ce n'est pas un hasard si ce sont deux Italiennes qui ont écrit le seul livre pertinent sur les « archistars », car le système de la mode en Italie a largement contribué à la transformation de l'architecture en marque. Les architectes ont compris que le seul moyen d'échapper à l'anonymat et aux inégalités de la compétition était de profiter de la force de pénétration de la mode et de sa légèreté : personne n'attend qu'elle soit éthique et prenne en charge les problèmes de la société. Gabrielle Lo Ricco et Silvia Micheli montrent bien comment Gehry, Koolhaas, mais aussi Nouvel, Calatrava et Fuksas ont réussi à percer grâce à des griffes comme Prada et Versace. Ce sont les marques de la mode qui ont fait de l'architecture une mode dans toute l'acception du terme : pas seulement les vêtements, mais aussi les tendances, décors, atmosphères. Le même phénomène s'était emparé des milieux de l'art à travers les galeries, les experts et le marché - si ce n'est que pour les artistes il était primordial d'être reconnus de leur vivant et de créer le personnage avant l'oeuvre, voire d'être eux-mêmes une oeuvre. Ces efforts ont été épargnés aux architectes : ils ont simplement pris la place du vêtement dans la vitrine et sont devenus eux-mêmes tee-shirt ou soutien-gorge. (...) » (pp.54-55)

Une part non négligeable du livre se veut enfin plus sociologique, et prend du même coup un tournant plus idéologique. En imputant à l'urbanisme contemporain la responsabilité de tous les maux de nos sociétés modernes, et de ce fait, en affranchissant l'humain (autre que les « archistars », si tant est que ces êtres fassent eux aussi partie de notre espèce) de toute responsabilité, La Cecla satisfait sans doute ses évidents penchants humanistes mais tombe du même coup dans un dogmatisme qui n'a finalement pas grand-chose à envier à ses adversaires. Entre propos péremptoires maintes fois entendus et incohérences flagrantes, la lecture de cet essai se termine sur un regret : celui qu'il n'approfondisse pas son analyse sur un plan plus strictement architectural.

Arthur Schopenhauer, sur le mariage


« Dans nos sociétés monogames, se marier c'est diminuer de moitié ses droits et sa liberté ; mais, en revanche, c'est doubler ses devoirs et ses charges. Et quels devoirs ? Depuis que vous avez admis vos femmes à délibérer, le bas intérêt a envahi la maison, toute résolution généreuse y est redoutée comme une criminelle folie. Le soin honteux du bien-être, le plus misérable calcul, la crainte de hasarder avec votre vie la sécurité de la famille, une poltronnerie vous sont imposés comme les obligations les plus sacrées. Bon père, bon époux, c'est-à-dire lâche citoyen, conscience faussée et vénale, intelligence abâtardie, voilà les titres ridicules qui vous servent aujourd'hui d'épitaphe. Vantez les femmes, félicitez-vous de les avoir affranchies : elles ont inventé les mœurs bourgeoises, elles ont fait de vous une race de Chrysales, qui a désappris sous leur joug la pratique de toutes les vertus fortes et qui ne peut plus en entendre le nom sans trembler et sans frémir de plaisir en se remuant douillettement dans ses habitudes de servilité. (...) »

Propos d'Arthur Schopenhauer, rapportés par Armand Challemel-Lacour dans son ouvrage posthume « Études et réflexions d'un pessimiste » publié en 1901, dont un extrait est repris dans la seconde partie de l' « Essai sur les femmes » de Schopenhauer, publié en 2007 aux Éditions de L'Herne.

19 décembre 2012

François Mauriac, sur la solitude et la vieillesse


« Je m'étonne de cette grâce : du goût croissant de la solitude à mesure que nous avançons dans la vieillesse ; une grâce, oui, je le crois, moi qui durant tant d'années ai toujours eu besoin que quelqu'un fût là. Mais les raisons d'ordre humain sont aisées à découvrir qui inclinent le vieil homme à préférer l'isolement : c'est qu'il perd ses chances de plaire et que, s'il est écrivain, il plaît d'autant mieux que son visage ne s'interpose pas entre le lecteur et le livre. Le sentiment que l'on est lu, discuté, exécré, aimé, maudit, béni, cette certitude entretenue par le courrier, par les articles de presse aide sans doute le vieil écrivain à demeurer seul dans une chambre. (...) »

François Mauriac, extrait d'une note publiée dans le premier tome du Bloc-notes, datée du 10 mai 1953 ; Flammarion (1958) ; Éditions du Seuil / Points (1993) pour l'édition la plus récente.

18 décembre 2012

Georg Christoph Lichtenberg, sur l'écriture


« Ce que fait l'écrivain c'est à proprement parler dire ce que pense ou sent la majorité des hommes sans le savoir ; l'écrivain moyen dit seulement ce que chacun aurait pu dire. »

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« Dans ses écrits un peuple peut paraître plus raisonnable qu'il n'est en réalité car il peut écrire longtemps encore la langue de ses pères quand leur esprit commence à lui manquer. »

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« Dans bien des oeuvres d'un célèbre auteur je préfèrerais lire ce qu'il a biffé plutôt que ce qu'il a laissé. »


Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799), extraits de Maximes et pensées, publié en 1998 par les Éditions André Silvaire.

17 décembre 2012

Arthur Schopenhauer, sur l'influence des femmes sur les hommes


« (...) nous, la nature nous a fait indépendants, et lequel d'entre nous peut parler d'indépendance sans qu'une femme, sans que toutes les femmes aient le droit de sourire ? Pour elles, nous jouons du matin au soir la comédie de la politesse, nous affectons des respects dont nous nous moquons entre nous, nous nous taisons sur ce qui nous indigne, nous sourions à ce qui nous déplaît, nous forçons notre bouche aux grimaces, nous feignons des croyances que nous n'avons pas, nous désavouons lâchement nos idées, nous rougissons de n'être pas assez vils ; et le soin le plus cher que la société des femmes inspire à notre tendresse paternelle, c'est d'assurer l'avenir de nos enfants en les instruisant de bonne heure à mentir comme nous. Voilà ce que nous devons aux femmes. Et maintenant, beau défenseur de l'amour, vous ne direz pas que je diminue leur part dans l’œuvre de la civilisation. (...) »

Propos d'Arthur Schopenhauer, rapportés par Armand Challemel-Lacour dans son ouvrage posthume « Études et réflexions d'un pessimiste » publié en 1901, dont un extrait est repris dans la seconde partie de l' « Essai sur les femmes » de Schopenhauer, publié en 2007 aux Éditions de L'Herne.

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