3 octobre 2014

Premières lignes : Au pays des antiquaires de ANDRÉ MAILFERT


« Il est difficile, à notre époque, de croire à quelque chose et il semble avéré que tout ce que l'on voit, apprend, lit ou écoute, n'est qu'une vaste fumisterie.
Cet état de chose n'est pas spécial à l'an 1934, mais il résulte d'une course à la duperie qui, d'un trot allongé au début de la génération actuelle, a pris, depuis quelques années, l'allure du galop le plus effréné.
Le mensonge, la tromperie, le leurre sont à la base de la plupart des institutions humaines, depuis l'école jusqu'à la fin des existences ; y compris l'oraison funèbre.
L'instruction commence à fausser les idées ; les idéals philosophiques conduisent souvent au déceptions ; bien des livres induisent en erreur ; les journaux, s'ils ne sont pas à la solde d'un parti qui les paie, contiennent plus de blagues que de vérités.
Les politiciens trompent les masses, les députés leurs électeurs, les femmes leurs maris (ceci n'est pas nouveau) ; les industriels trompent les commerçants, les commerçants leurs clients ; les employés trompent leurs patrons comme les patrons trompent leurs employés...
Mais n'ayant pas l'intention de faire un cours de morale et cette maladie du siècle étant bien constatée, en attendant qu'une crise finale nous conduise à une apothéose de vérité qui rendra, peut-être, l'humanité plus malheureuse, car tout, ici-bas, n'est qu'illusion et l'illusion constitue le plus réel bonheur de la vie, je vais aborder, en en révélant les causes ignorées, l'étude de la tromperie la plus à la mode, celle du faux-vieux, dans laquelle je crois être l'un des mieux renseignés pour l'avoir pratiquée de longues années.
Ce préambule est suffisant pour exposer au lecteur de ce livre qu'en le lisant il ne sera donc pas trompé.
Ce n'est pas un intempestif besoin de clamer la vérité qui me pousse à agir ainsi, ni le désir de passer pour un original, pas plus que l'espoir de conquérir les palmes académiques ; ce n'est ni pour accomplir un devoir, ni pour obéir à un vœu... c'est simplement parce que cela m'amuse. (...) »

André Mailfert, Au pays des antiquaires (1935) ; Flammarion.

25 septembre 2014

Arthur Young, sur la conversation

Portrait d'Arthur Young, par John Russell (1794)
National Portrait Gallery, Londres

« (...) là où il y a beaucoup de politesse, il y a peu de discussion, et s'il n'y a ni discussion, ni controverse, que devient la conversation ? L'égalité d'humeur et la douceur de caractère sont les premières conditions d'une société particulière ; mais l'esprit, les connaissances ou l'originalité doivent en rompre la surface pour permettre à une certaine divergence d'opinions de se faire jour, ou bien la conversation ressemble à un voyage sur une plaine illimitée. »

Arthur Young, Voyages en France — 28 juin 1787 ; traduit de l'anglais par Henri Sée ; Librairie Armand Colin (1931) / republié aux éditions Tallandier (2009).

16 septembre 2014

Paul Léautaud, sur l'instruction publique

Portrait de Paul Léautaud par E.-A. Heuzé (1937)
Musée national d'art moderne, Paris

« L'instruction gratuite et obligatoire. Pour mieux former des citoyens modèles, bien soumis aux règles du régime et bien crédules aux bourdes qu'on leur sert. Le bon sens détruit, remplacé par la prétention. Anes à diplômes qui n'en restent pas moins des ânes, rien ne remplaçant l'intelligence et la curiosité d'esprit natives.
Disparition de l'esprit de fronde, de l'esprit satirique. Le gavroche loustic qui dégonflait les baudruches sociales d'un lazzi, n'existe plus. »

*

« Même appréciation pour ces jeunes gens, si grossiers de propos et de façons, pour ces gamines, si prétentieuses, que je vois chaque jour dans le train, munis de manuels et de cahiers d'études, qui peuplent les Facultés. De futurs déclassés qui, je l'espère bien, végéteront et expieront leur fétichisme des diplômes, qui ne leur auront rien conféré de plus qu'un petit savoir appris momentanément.
Un bon artisan, auprès de tous ces sots vaniteux, quel personnage sympathique ! »

Paul Léautaud, Propos d'un jour (1947) — Extraits de Notes retrouvées (1927-1934) ; Mercure de France.

12 septembre 2014

Louis-Ferdinand Céline, sur l'opportunisme


« (...) les haines partisanes sont « alimentaires »!... oubliez jamais! on s'est fait des « Situâtions » dans la purification, les mises en fosse des « collabos »... des gens qu'étaient juste que de la crotte sont devenus des « terribles seigneurs »... « vengeurs »... avec de ces énormes privilèges!... vous parlez qu'ils « résisteront » jusqu'à leur dernier quart de souffle!... jusqu'à leur dernière petite-fille se soit très gentiment mariée! le pire malheur des collabos, la providence qu'ils ont été pour la pire horde des bons à lape... dites-moi, Vermersh, Triolette, Madeleine Jacob, qu'est-ce que ça vaut devant une fraiseuse, une feuille de papier? un balai?... à la niche, hyènes! catastrophes! des aubaines, pas une fois par siècle! surprise-stupre des épiloconnes! c'est pas demain qu'ils vont renoncer à être les Très-Hautes-Puissances-Paladines de la plus formid' colique 39!... (...) »

Louis-Ferdinand Céline, D'un château l'autre ; Gallimard (1957).

31 août 2014

François Mauriac, sur la renommée des écrivains


« (...) Ce sont les qualités d'un écrivain qui lui assurent la seconde place et ses défauts qui le mettent au premier rang. (...) »

François Mauriac, Bloc notes — 21 juillet 1953 ; éditions du Seuil.

29 août 2014

Paul Léautaud, sur le désir, les femmes, et le plaisir

Portrait de Paul Léautaud par Émile Bernard
Musée Calvet, Avignon




« (...) Ne compter sur rien. Ne rien chercher – me va parfaitement. Odieux d'aller rendre visite à une femme qu'on connaît à peine, à peu près arrêté qu'on fera l'amour. Pas de meilleur moyen pour rester en plan, – au moins pour moi. Tandis que laisser venir, attendre l'occasion, le moment, l'accord réciproque, sans y penser... On peut au moins compter sur quelque agrément quand on y arrive. Et puis, je suis toujours à ce point : je ne désire vraiment absolument rien. »

— 9 février 1933


« (...) Après bien de la conversation, étendue sur son divan, me demande de venir près d'elle. Deux ou trois baisers. Je constate qu'elle a encore son pyjama fermé. Je dis que c'est peu galant, pour la visite d'un monsieur. Elle a ce mot : « Mon Dieu, que les hommes sont bêtes! » Je demande l'explication. Après s'être fait prier : « Ce que cela veut dire ? Que ce qui gêne, il n'y a qu'à l'enlever. » Je lui ai expliqué que moi, je trouve bien mieux qu'on offre soi-même ce qui doit être offert. J'ai baissé le pyjama, peloté un peu. Heureusement il était tard. L'heure du dernier tramway. Je suis parti. »

— 12 février 1933


« (...) J'augmente mon expérience – tardive – sur les femmes. 1° Qu'il y en a beaucoup qui peuvent être fort agréables. 2° Que c'est une fameuse illusion (cela, il est vrai, je le sens depuis longtemps) de croire qu'il n'y en a qu'une (quand on est épris) qui soit la perle pour le plaisir. 3° Qu'il y a dans le nombre plus de putains dégourdies qu'on ne le croit. Ce que j'écris là est une niaiserie. Mais j'ai été dans ce domaine un niais longtemps. Il m'en reste du reste encore. (...) »

— 10 mai 1933


« Dix heures et demie du soir. M.D. [Marie Dormoy] pas venue. J'aurai certainement une lettre demain. Nous allons voir ce qu'elle va raconter. Probablement malade, ou obligée d'aller chez Vollard. Elle commence à m'agacer avec son esclavage Vollard. Je m'attends à ce qu'elle me dise un jour, elle aussi : « Mais, mon cher, vous ne me faites pas vivre. Quand on veut qu'une femme soit à votre disposition, on la fait vivre. » Entendu! Mais ce n'est pas moi qui suis allé la chercher. J'en ai assez de passer toujours après mille autres choses. Elle n'est pas jolie. Elle est comme un mannequin quand elle fait l'amour. Elle n'a rien de très agréable à montrer quand elle est nue. Elle devrait comprendre cela.
Quoiqu'il soit bien agréable, telle qu'elle est, de l'avoir l'été, pendant l'absence du « Fléau ». Surtout maintenant, que tous les deux arrivés à une certaine intimité et liberté physiques. Tout est ainsi dans la vie, dans tous les domaines : il faut savoir se contenter d'à peu près. (...) »

— 2 octobre 1933

Paul Léautaud, Journal particulier 1933 ; Mercure de France (1986).

28 août 2014

Émile Guillaumin, sur la fatuité


« (...) toute occasion de rire leur était précieuse. Après qu'ils eurent bu et mangé ferme, ils contèrent des histoires scabreuses, des récits d'orgie et d'amour de fraude. Ils parlaient aussi de leurs métayers dont ils raillaient la bêtise et la soumission, et de leurs propriétaires à qui ils se flattaient de faire avaler des bourdes invraisemblables. Je compris qu'ils se considéraient comme des gens très supérieurs, dominant le reste de l'humanité de tout le poids de leurs gros ventres, de toute la largeur de leurs faces rubicondes. Seul le jeune docteur ne paraissait guère s'amuser. Il avait en ville, à côté de la source chaude, son logement particulier, et il fréquentait peu la maison paternelle. Ses deux frères de même n'y faisaient plus que de rares et courtes apparitions.
« Ils n'ont pas les habitudes du père ; ce n'est plus le même genre », m'avait dit la servante.
J'en conclus qu'eux aussi, probablement, se jugeaient des hommes supérieurs, supérieurs à ce fermier campagnard qu'était leur père, et à ses amis. Ainsi va le monde. Chacun a sa façon de voir et de concevoir. Chacun se croit bien fort sans imaginer qu'à côté on le tient pour un imbécile. Il y a là de quoi consoler ceux qui ne sont pas supérieurs du tout. (...) »

Émile Guillaumin, La vie d'un simple (1904) ; réédition de 1943 aux éditions Stock.

27 août 2014

Georges Henein, sur Henri Calet et la littérature


« (...) Qu'attendez-vous donc du public, monsieur ? Le public demande son petit sirop aphrodisiaque préparé avec les ménagements dus à la pureté de ses intentions. Il en est toujours à la sérénade du feu Toselli, le public ! Il faut lui donner l'occasion de se masturber subrepticement avec un air de chercher son mouchoir dans la poche du pantalon. De la grâce. De la souplesse. Une bonne culture classique. Rien que des vitrines joliment éclairées. Gare à qui va au-delà de la vitrine.
Nous sommes tous immaculés monsieur, même si nos linges ne le sont pas !
Vous, du moins, vous en avez fini avec la lit-té-ra-tu-re. Vous êtes du côté de la vie. Du côté de la merde.
Continuez monsieur (...) »

Georges Henein, dans une lettre du 1er novembre 1935 adressée à Henri Calet à propos de son roman « La belle lurette » ; correspondance publiée dans la revue « Les grandes largeurs » — N°2-3 / Automne-hiver 1981.


21 août 2014

Paul Léautaud, sur les livres


« (...) Je suis d'avis que les livres n'apprennent rien. Ils nous aident seulement, quelquefois, à nous formuler de façon plus précise ce que nous pensons. (...) »

Paul Léautaud, Passe-Temps (1928) ; Mercure de France.

19 août 2014

Henri Calet, sur l'existence


« (...) Notre existence est faite de jours creux aboutés ; c'est pourquoi elle rend un son vide. »

Henri Calet, Le tout sur le tout (1948) ; Gallimard.




17 août 2014

Paul Léautaud, sur les écrivains


« (...) Être un homme de son époque, décrire les choses, parler des choses de son époque, non pas s'amuser à des reconstitutions grecques ou latines, c'est là le vrai écrivain, le seul qui compte. (...) »

Paul Léautaud, Vendredi 5 juin 1908, Journal littéraire, Tome 1 ; Mercure de France.

26 juin 2014

Jules Renard, sur les critiques littéraires


« 
— (...) Répondez à ces critiques ; répondez-vous ?
— Jamais. Ou plutôt si, toujours. J'écris la réponse, aussi spirituelle, accablante, méprisante, définitive que je peux, mais je ne l'envoie pas.
— Vous la déchirez ?
— Je la garde !
— Pourquoi ?
— Parce qu'au moment de cacheter la lettre, à la dernière seconde, on a la vision nette de l'homme inutile, irresponsable, affolé et douloureux que doit être un critique professionnel, la notion claire de l'indulgence et de la pitié qu'il mérite ! Ce n'est pas un adversaire, ce n'est, comme on l'a défini, qu'un monsieur indiscret qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ! A la vanité succède l'orgueil. On se dit : « Ah ! non, tout de même. » Et on serre la lettre dans un tiroir ! Elle est écrite, ça suffit.
(...)
»

Jules Renard, L’œil clair (1913) ; Gallimard.

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