29 mai 2011

Richard BRAUTIGAN : Un privé à Babylone

J'aimerais comprendre comment, en étant désintéressé par la fiction, et réfractaire au roman de genre, on peut apprécier Un privé à Babylone. C'est une énigme, et pourtant, c'est une réalité.
 
Richard Brautigan n'est pas un romancier comme les autres. C'est un début de piste. Quand un romancier traditionnel suit scrupuleusement les ornières que ses prédécesseurs ont tracé pour lui, Brautigan, lui, sort du sentier et va cavaler la houppe au vent à travers la prairie, il explore.
 
Et son exploration l'amène, sous couvert d'une petite histoire policière loufoque, à contextualiser le fonctionnement d'un raté, son cheminement, et j'ose voir dans ce livre, aussi, un dézingage en bonne et due forme des codes et mythes de la culture populaire américaine.
 
Tout ce que cette culture a de sommaire et de risible est condensé dans les rêves de C.Card, le privé raté narrateur, qui se fantasme au coeur d'aventures dignes de séries Z hollywoodiennes, toujours plus assoiffé de gloire qu'il est. Grand joueur de base-ball, fin des fins limiers, homme à femmes, C.Card ne compte plus ses succès, lorsqu'il rêve de Babylone.
 
Mais dans la réalité, Card est le dernier des derniers. Fauché comme les blés, infantilisé par sa mère, malheureux en amour, et moqué par ses amis qu'il ne voit que pour les délester de quelques cents ou trouver des balles pour son révolver, Card a laissé filer sa vie à force de se perdre à Babylone. Il en a parfaitement conscience et tente de lutter contre son obsession, mais rien n'y fait.
 
« Pas de doute, le monde est un endroit étrange. Pas étonnant que je passe tellement de temps à rêver de Babylone. C'est plus sûr. » (p.140)
 
Le raté, ce serait donc ça ? Un idéaliste rêveur, un insatisfait de la vie, un handicapé du réel, un imaginatif forcené ? Card aurait sans doute plus sa place à Hollywood qu'à sillonner les rues de San Francisco à pied ou en autobus. Il gagnerait peut-être, quitte à rêver de gloire et perdre son temps, à troquer son flingue déchargé contre une machine à écrire. Mais Hollywood ne l'intéresse pas, son truc à lui, c'est Babylone. Sa vie, c'est au sixième siècle avant J-C qu'il la mène, et pas en 1942. Et puis d'abord, il deviendra le plus riche, le plus respecté, et le plus séduisant privé de San Babylone, c'est acquis, il la remontera cette pente, la chance va à nouveau lui sourire et tous ses problèmes seront réglés.
 
« (...) C'est difficile de trouver quelqu'un à embrasser quand on n'a pas d'argent en poche et qu'on a une vie aussi merdique que la mienne. (...) »

26 mai 2011

Le bon Sartre et le méchant Céline


Les propos qui suivent sont tenus par Lucette Destouches, veuve de Louis-Ferdinand Céline. Ils sont extraits de l'ouvrage Céline secret, souvenirs de Madame Destouches recueillis par Véronique Robert (Grasset, 2001).

 
« (...) un jour, au début des années 1940, en pleine occupation, j'ai vu arriver Jean-Paul Sartre qui venait demander à Louis d'intercéder en sa faveur auprès des Allemands pour qu'on joue à Paris sa pièce les Mouches. Louis a refusé, il lui a dit n'avoir aucun pouvoir auprès des Allemands. C'était vrai, mais Sartre ne l'a sans doute pas cru, il lui en a voulu et plus tard il l'a accusé d'avoir écrit des pamphlets à la solde des Allemands.
Rien n'était plus absurde comme idée. C'était ne pas connaître Louis, à la solde de personne, intransigeant avec tout le monde, incapable de pactiser avec qui que ce soit, toujours seul contre tous. La réponse de Céline à l'Agité du bocal sera cinglante et ôtera à Sartre toute envie de reparties.(...) »

6 mai 2011

Roger NIMIER : Les épées

Roger Nimier est considéré comme le chef de file des Hussards, ce mouvement littéraire français né à la fin des années 40. Une des caractéristiques reconnue à ce mouvement, outre sa sensibilité politique plutôt à droite, est la sobriété de son style, le goût de la phrase incisive, sans fioritures.
 
On retrouve cette sobriété quasi constamment dans le premier roman de Nimier, mais ce livre est aussi l’œuvre d'un intellectuel, d'un esprit complexe, philosophe et érudit, et sa pensée ne paraît du coup pas toujours très limpide.
 
Par exemple, le concept des « épées », qui donne son titre au roman, et revient régulièrement au fil du récit, reste assez flou à mes yeux. Métaphore de la destinée, des aléas de la vie, à première vue, mais je suis certainement passé à côté des subtilités que lui attribuait l'auteur.
 
Du reste, Les épées paraît assez confus en première lecture. Il y a d'abord la relation entre François Sanders - le narrateur - et Claude, sa sœur. Relation aux frontières de l'inceste ou peut-être carrément incestueuse au fond, car on ne sait trop décoder les allusions de Nimier à certains moments. Il y a aussi l'enchevêtrement des périodes de la vie du narrateur, assez distinctes les unes des autres, l'adolescence et la fascination de Sanders pour Claude, la guerre où il n'est plus du tout question de Claude, puis l'après guerre où l'obsession du narrateur tourne à nouveau autour de sa sœur.
 
Une chose semble plus claire, ou peut-être y ai-je été plus réceptif, c'est le point de vue hétérodoxe  - d'autant plus au sortir de la guerre - de Nimier sur l'engagement, le patriotisme, et sa relation au conflit à travers le comportement désabusé de son personnage. Sanders vit la guerre et l'occupation allemande de manière détachée. Il n'y a pas de bons et de méchants mais des hommes avec de mauvaises raisons de se battre, ou plus souvent encore, pas de raison du tout. Un temps résistant, un temps milicien, Sanders est animé dans un camp comme dans l'autre par la même apathie. Pratiquant l'exécution sommaire par générosité, acceptant le sacrifice d'une amante et sœur d'arme sans sourciller, François Sanders est un homme, un vrai : décomplexé et amoral. Toujours un peu salaud,  toujours dans le camp humain.
 
Ce roman reste toutefois assez abscons pour moi. Pourtant, il ne manque pas de phrases inspirées, de réflexions intéressantes (mais parfois trop intellectualisées pour le commun des mortels dont je suis), comme « certaines choses sont vraies et (...) d'autres sont belles » ou encore « la sincérité est presque toujours un calcul adroit ». Et bien d'autres, parmi lesquelles :
 
« (...) ce qui est nécessaire manque rarement d'être futile. Ainsi des complots et des affaires de cœur. (...) » (p.49)
 
« (...) le sang, c'est comme le reste : passé dix mille litres ce n'est plus une tragédie, mais une industrie nationale » (p.48)
 
« (...) Le désastre, ce n'est pas le moment où la vie vous dégoûte, c'est celui où on lui fait des concessions. (...) » (p.103)
 
" (...) Une civilisation qui tombe en ruine garde un sens, même si elle lui tourne le dos. La plus grande débauche exige la plus grande moralité, pour rester intéressante. (...) » (p.116)
 
« (...) Par-dessus la vérité affectueuse - l'idée qu'on a de soi - il y a la vérité cruelle : l'opinion des autres. (...) » (p.120)
 
« (...) Les gens ne veulent jamais comprendre qu'on est si indulgent avec eux parce qu'on les tient pour des imbéciles. (...) » (p.137)
 
« (...) Nous savons que les êtres varient, qu'ils ne sont pas fixés dans leur réalité pour l'éternité. Mais nous ne pouvons nous satisfaire de cette image mobile et disputée. Nous exigeons d'eux une présence ferme, un caractère tranché. Ils n'ont pas le droit d'exister. (...) » (p.144-145)
 
De quoi inciter à en lire plus.
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