Au début des années 80, sur l'insistance de son éditeur, Charles Bukowski consentait enfin à se replonger dans les premières années de sa vie. C'est donc une nouvelle fois sous la forme d'une autobiographie à peine déguisée, mettant en scène son double Henry Chinaski, que Bukowski allait faire parler la poudre, ou plutôt exposer plus que d'habitude une facette méconnue (et pourtant toujours bien présente dans ses écrits) de sa personnalité : la tendresse. Ramener à la surface des souvenirs de sa prime enfance ont en effet replongé Bukowski dans une innocence qu'il retranscrit avec une justesse comparable à celle de son maître John Fante, sur la première partie du roman. Bukowski se remémore quelques bons moments d'enfance (le souvenir de son grand-père qu'il n'a pas beaucoup connu), mais on enchaine très vite sur la succession de coups durs qui ont forgé la personnalité de l'écrivain, avec en point d'orgue la brutalité d'un père que Bukowski parvient à décrire sans une once de misérabilisme. La victimisation et le pathos n'ont jamais été la came du vieux Buk, il décrit les faits, nous livre ses sentiments, son détachement vis à vis de la société, qu'il a en fait toujours ressenti et qui l'ont conduit sa vie durant sur le sentier de la marginalité... et d'une liberté absolue. Souvenirs d'un pas grand-chose revient donc sur les vingt premières années de la vie de l'écrivain, une scolarité à l'écart des autres, une sexualité tardive (compliquée par de sérieux problèmes d'acné), inversement proportionnelle à sa découverte de l'alcool, un besoin constant de dire merde aux conventions, l'amenant jusqu'à se laisser approcher à l'université par des nazillons d'opérette pour le seul plaisir de heurter le patriotisme aveugle et exacerbé de la masse qui l'entourait en ces temps de guerre (sans jamais adhérer le moins du monde à leurs idées : "Pourquoi donc est-ce que la Cause de la race supérieure n'attirait à elle que des invalides du corps et de la tête ?"). Chinaski/Buk quitte rapidement l'université, se fait virer par son père, et découvre ce qui rythmera dès lors son existence pour de nombreuses années : boulots merdiques à la petite semaine, chambres d’hôtel miteuses, femmes faciles et cuites à gogo. Une manière de vivre que Bukowski décrit admirablement - avec son cocktail habituel de lucidité, d'humour, de désinvolture et de liberté de ton - dans Factotum, qu'on peut considérer comme la suite de ces Souvenirs d'un pas grand-chose qui me paraissent être une excellente entrée en matière dans l’œuvre de Bukowski, notamment pour les sceptiques rebutés par la réputation sulfureuse de l'écrivain...
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Cet espace commence à sérieusement prendre la poussière, et ça n'est pas en commentant un roman de 1941 que je vais le dépoussiérer...
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Pour moi le meilleur de Buk.
Commentaire n°1 posté par FRED V le 06/04/2011 à 14h45