25 août 2008

Charles BUKOWSKI : Le capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau

Comme souvent, c'est à la demande de son éditeur que Charles Bukowski s'est penché sur cet ouvrage quelques années avant sa mort. A cette époque, l'écrivain se savait condamné par la maladie (cancer), et c'est encore plus vive et poignante qu'on retrouve sa légendaire liberté de ton. Le capitaine est parti déjeuner... se présente sous la forme d'un journal intime rédigé durant un an et demi, entre août 1991 et février 1993 ; Buk raconte les derniers mois de son existence, sans jérémiade, l'écrivain attend la mort mais trouve le courage de regarder une dernière fois la vie en face, droit dans les yeux. Dans ce livre, Bukowski est plus touchant que jamais, sa fragilité et sa sagesse l'amènent à des réflexions d'ordre métaphysique dont la justesse nous percute à chaque paragraphe. Et le mieux est encore de laisser la parole à l'auteur :

" (...) Se lamenter sur un cadavre est aussi inconséquent que de verser des larmes sur une fleur qu'on vient de couper. L'horreur, ce n'est pas la mort mais la vie que mènent les gens avant de rendre leur dernier soupir. Ils n'ont aucune considération pour elle et ne cessent de lui pisser, de lui chier dessus. Des copulateurs sans conscience. Ils ne s'obsèdent que sur la baise, le cinoche, le fric, la famille, tout ce qui tourne autour du sexe. Sous leur crane, on ne trouve que du coton. Ils gobent tout, Dieu comme la patrie, sans jamais se poser la moindre question. Mieux, ils ont vite oublié ce que penser voulait dire, préférant abandonner à d'autres le soin de le faire. Du coton, vous dis-je, plein le cerveau ! Ils respirent la laideur, parlent et se déplacent de manière tout aussi hideuse. Faites leur donc entendre de la bonne musique, eh bien ils se gratteront l'oreille. La majorité des morts l'étaient déjà de leur vivant. Le jour venu, ils n'ont pas senti la différence. (...)"

" (...) Vieillir est très étrange. Pour l'essentiel parce qu'on passe son temps à se répéter qu'on se décatit, qu'on décline. Ainsi, à chaque fois que je me retrouve sur l'escalator d'Hollywood Park, je ne peux m'empêcher de m'examiner dans l'un des miroirs latéraux. Au vrai, je n'y vais pas franco, je l'attaque de biais. par en dessous, avec un demi-sourire prudent. Eh bien rassure-toi, c'est moins désastreux que tu l'avais imaginé, même si tu ressembles à une bougie qui aurait perdu sa mèche. Tant pis ! T'as quand même baisé les dieux et fait la nique à la marche du temps. Logiquement, on aurait dû t'enterrer voilà trente-deux ans. Je me suis offert un rab d'atmosphère, un surplus de périscope sur l'inhumaine comédie. (...)"

" (...) Je n'ai jamais placé mes espoirs dans la raison ou dans la justice. Jamais, au grand jamais. Peut-être cela explique-t-il pourquoi je me suis toujours gardé d'écrire des livres à thèse. Pour moi, la communauté tout entière est frappée de non-sens, et personne n'y changera quoique ce soit. On perd son temps à vouloir bonifier quelque chose d'aussi stérile. (...)"

" (...) Quoi ? J'aurais pu être utile à quelque chose ? Avocat ? Médecin ? Sénateur ? De la foutaise, comme le reste. Ils se croient le nez hors de la merde alors qu'ils en bouffent tant et plus. Ils se sont piégés dans leur propre système, et ils ne peuvent plus en sortir. D'ailleurs, quasiment aucun d'eux n'aime ce qu'il fait. Mais quelle importance, puisqu'ils se calfeutrent dans un cocon. (...)"

" (...) L'univers tient dans un gros sac de merde déchiré de partout et jamais rafistolé. Je ne peux rien y changer. Toutefois, si j'en crois les lettres que je reçois, mes livres auraient tiré pas mal de gens d'un mauvais pas. Tel n'était pas mon but, je n'écris que pour me sauver moi-même. J'ai toujours été asocial, et jamais je ne me suis adapté. Dès l'école, j'ai découvert ma marginalité. Ne serait-ce que parce que j'y ai appris que je ne pouvais apprendre que lentement. Les autres élèves enregistraient tout au quart de seconde, pas moi qui ne retenais que dalle. Pas la moindre bribe de savoir qui ne m'apparaissait baignant dans une lumière crépusculaire et intimidante. J'avais tout du fou. Sauf que, même lorsque j'offrais les apparences de la déraison, je savais que la réalité était plus complexe. Dans un recoin de mon être, j'avais réussi à dissimuler de quoi me protéger, un petit rien insaisissable. (...)"


Bukowski n'oublie pas non plus son humour, même face à la mort. Son quotidien est plus que jamais consacré à l'observation des autres, que ce soit au champ de course où il passait la plupart de ses journées, ou bien au volant de sa voiture, toutes les occasions sont bonnes pour affûter son jugement, plus tranchant que jamais. On se plait aussi à lire des moments plus légers, liés bien souvent à sa découverte du confort matériel dans sa petite villa du sud de Los Angeles où il vit avec sa femme Linda : piscine, jacuzzi, et surtout, l'ordinateur, cet outil si pratique qui bien souvent émerveille Bukowski (sauf quand la page soigneusement noircie se transforme en écran bleu) et lui permet de gagner un temps précieux alors que ses jours sont définitivement comptés.

1 commentaire:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
    +++++++++++++++++++++++++++++++

    Le Capitaine est pour moi son meilleur livre. Croyez le ou non, en refermant le bouquin, je chialais.

    Commentaire n°1 posté par Anomalie le 26/08/2008 à 17h06

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