6 février 2009

Olivier BARDOLLE, sur l'amour (florilège)

"Il y en a tant qui confondent l'amour et l'angoisse. En pleine crise, le mal-être s'est cristallisé sur autrui. Voilà tout, on aime l'autre comme le naufragé aime sa bouée."


"L'exclusivité débouche toujours sur le conflit, la rupture, voire la haine, parce qu'elle se fonde sur la frustration. C'est seulement en renonçant à l'idée d'exclusivité que l'on peut accéder à la fidélité. Elle seule sait apprivoiser la durée, parce qu'elle n'a pas de comptes à rendre, qu'elle est libre, qu'elle procède de l'élection et non de la contrainte. Sur l'écueil de l'exclusivité se fracassent tous les serments d'amour."


"L'oubli de soi constitue le bonheur méconnu de la relation amoureuse. On s'éprend de l'autre et, ce faisant, on se déprend de soi, on s'allège de ce fardeau du moi qui pèse tout au long de l'existence d'un poids sans cesse accru. D'où ce sentiment de légèreté que ressent l'énamouré qui n'a plus à se supporter. En ce point insoupçonné réside le mystère de l'extase amoureuse, ce n'est pas tant l'autre qui nous procure un tel bonheur que le fait d'être enfin débarrassé de soi."


"L'amour suprême est celui qui est capable de laisser l'autre tranquille, qui peut le regarder évoluer sans intervenir, et s'en réjouir, mais qui sait s'en rapprocher lorsque la nécessité s'en fait sentir. C'est aussi celui qui aime l'inconnu en l'autre, son mystère, qui lui permet d'« être autrement ». L'amour véritable est humble et ne craint pas l'altérité."


"Les conditions d'accès au sexe font de vous un homme à qui vous n'aimeriez pas serrer la main. Un homme veule, prêt à débiter toute sorte de sornettes, à faire le paon, le drôle, et qui n'hésite pas à trouver passionnante chaque sottise que lui assène la femelle convoitée, laquelle teste ainsi le degré d'assujettissement du bonhomme et l'amène à la plus grande niaiserie au moment de lui ouvrir son lit. Non, décidément, la parade amoureuse n'est pas une élévation."


"On ne peut pas ne pas croire en l'amour, mais on peut être sceptique à l'égard de l'amour durable. Tout le problème est là : cette émotion est intense mais provisoire. Rien n'est plus difficile que d'aimer et de s'y tenir. On a trop besoin de changement, de divertissement, on veut être surpris en permanence, on veut que l'autre nous étonne chaque matin, mais l'autre, il n'en peut plus le pauvre, il a tout donné d'emblée, il ne sait plus quoi inventer, il fatigue, c'est humain. Il faut beaucoup d'imagination et d'énergie pour réinventer la vie tous les jours, mieux vaut laisser filer « l'ennuyé », l'avide de sentiments, vers d'autres horizons. Et pourtant, l'amour et ses insatisfactions sont, après la mort et la faim, le troisième sujet de préoccupation des hommes."


"L'amitié comme l'amour souffre toujours d'un excès de fréquentation. Passé la phase de fascination réciproque, on s'installe dans la familiarité, ce qui rassure un certain temps. Et puis, à la longue, on fatigue, on radote, on se répète les mêmes histoires, chacun connait à fond le répertoire de l'autre. A la fin, on se tait et on se contente de hocher la tête distraitement, lassé. C'est là qu'il faut rompre, s'écarter, se ressourcer dans l'oubli."


"Les deux grands moments de l'amour, ceux qui vous transforment : la rencontre et la rupture. Entre les deux, la routine."


"Tant que vous vous aimez l'un l'autre, à bonne distance, tout va bien, et puis « vous vous mettez en ménage », quel programme ! Quelle extase !  Vaisselle et balayage, récriminations et babillages, les « horreurs de l'amour » taillent leur triste chemin dans le coeur des amants. Au lieu de pouvoir écouter en paix Le Messie de Haendel, on vous demande de « faire une machine » ou de « changer la petite », et avec le sourire en plus. Le prince charmant se retrouve à se coltiner le sac à provisions. A se demander pourquoi il est descendu de cheval."


"Toute tentative de séduction est une forme d'escroquerie. On le sait bien, mais on veut plaire. Alors on se maquille, on s'enjolive, on use de jolis mots, et puis, une fois l'autre « attrapé », on se relâche, on redevient soi-même, et c'est là que tout se gâte, chacun ayant l'impression de s'être fait avoir, de s'être littéralement « fait baiser ». Les prémices de l'amour ne sont qu'arnaques, chausse-trappes et jeux de dupes. Il convient de franchir cette étape le plus vite possible, d'aller à l'essentiel, à la connaissance de l'autre, dans sa plus simple vérité, pour, peut-être, parvenir à l'aimer enfin."


"A votre prochain coup de foudre, pour faire tomber la fièvre, dites-vous simplement que vous venez de rencontrer votre futur bourreau. Vous vous sentirez mieux tout de suite."


"En définitive, on peut toujours faire de l'amour sa bête noire, sa tête de Turc, son bouc émissaire, lui cogner dessus, le ridiculiser, le mépriser, lui en vouloir à mort, le considérer comme une perte de temps, un insupportable gâchis, le traiter comme Céline d' « infini à la portée des caniches », le trouver sale, franchement répugnant, il n'empêche, on ne peut vivre sans lui."


Olivier Bardolle, Le monologue implacable (Editions Ramsay, 2003)

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