5 novembre 2008

Hubert SELBY Jr. : Last exit to Brooklyn

Pénétrer dans l'univers de Selby, c'est se faire un peu violence. La vie qu'il dépeint est âpre, violente et malsaine. C'est d'ailleurs ce qui fit le succès de l'écrivain, cette faculté à décrire la misère humaine, affective et matérielle de la cohorte des laissés pour compte de l'Amérique, ce goût pour le propos cinglant, choquant (le livre fut attaqué ou censuré pour obscénité dans plusieurs pays à sa sortie en 1964). Last exit to Brooklyn nous embarque donc dans le New York miséreux des années 60, tour à tour, Selby s'attarde sur différents personnages, souvent sans lien, on ne sait jamais très bien où il va nous conduire, ce que l'on sait, c'est que l'atmosphère ne sera pas très joyeuse. Violences conjugales, sexuelles, verbales, sociales, tout y passe, dans un style qui nécessite un temps d'adaptation, Selby usant de la compacité de son texte comme d'un moyen supplémentaire d'oppresser son lecteur. Les retours à la ligne sont extrêmement rares, Selby écrit tout d'un bloc, dialogues y compris. Mais plus que dérouter le lecteur, il parvient à capter son attention, la mienne en tout cas.

Sa manière de jongler avec ses personnages qui se croisent parfois au fil du récit laisse d'abord supposer qu'ils ont un destin commun. En un sens, les nombreux personnages partagent au moins une chose, le désespoir de vivre dans un monde qui ne leur offre d'autre alternative que de subir, toujours subir cette existence sans queue ni tête. Il y a Vinnie, le petit caïd d'une bande de jeunes paumés réduits à arnaquer les bidasses en permission pourtant presque aussi paumés qu'eux. Il y a également Georgette, le travelo en mal de tendresse shooté en permanence à la Benzedrine. Autre personnage marquant de ce roman, Tralala, la jeune pute alcoolique et négligée dont le sort sera peut-être le plus abominable de toutes les histoires. Et puis le personnage quasiment central, Harry, mari et père de famille aux abonnés absents, ouvrier délétère et nonchalant qui goûtera son moment de gloire en se retrouvant parachuté aux commandes d'une grève sans précédent.

Ce premier roman de Hubert Selby Jr. ne se lit pas vraiment par plaisir, mais plutôt par besoin, celui d'ouvrir les yeux et de s'immerger dans une réalité qui a toujours cours et que tout un chacun cherche à fuir ou ignorer. Comme le maître qui éduque son chiot, Selby nous plonge le nez dans la merde aussi souvent que nécessaire ;  à la différence d'écrivains comme Bukowski ou Fante qui connurent et s'inspirèrent la même misère sociale pour écrire, le new-yorkais ne laisse pas vraiment de place à la légèreté ou à l'humour (encore qu'une certaine dose de dérision est palpable dans sa description de l'organisation syndicale oligarchique de l'usine, et du monde du travail de manière plus générale), son récit est sans concession, il met à nu la noirceur du genre humain (comme les pulsions pédophiles d'Harry dans un bref passage du bouquin), et ne lâche pas prise jusqu'au dernier mot.

"Tralala avait 15 ans la première fois qu'elle avait couché avec un type. Ça n'avait pas été par passion. Seulement pour passer le temps. Elle était toujours pendue chez les Grec avec les autres gosses du quartier. Rien à foutre. Seulement rester assis à discuter. Écouter le juke-box. Boire du café. Essayer de piquer des cigarettes. Tout était aussi emmerdant. Elle avait dit oui. Dans le parc. 3 ou 4 couples à chercher un arbre et un coin d'herbe chacun. En fait elle n'avait pas dit oui. Elle n'avait rien dit du tout. Tony ou Vinnie ou un autre avait simplement continué. Ils s'étaient tous retrouvés à la sortie avec de petits sourires entendus. Les gars se sentaient vachement fiers. Les filles marchaient devant et en discutaient. Elles poussaient des gloussements à chaque allusion. Tralala avait haussé les épaules. Se faire baiser était se faire baiser. Pourquoi en faire des salades ? Elle était souvent retournée au parc. Elle avait toujours le choix. Les autres filles étaient aussi d'accord qu'elle mais elles s'amusaient, elles aimaient faire marcher. Et riaient bêtement. Tralala ne perdait pas son temps à ça. Personne n'aime se faire foutre de sa gueule. Ou bien on y va, ou bien on n'y va pas. Un point c'est tout. Et en plus, elle avait de gros nichons. Elle était bâtie comme une femme. Pas comme une gamine. Les gars la préféraient. (...)"

"(...) Toute seule dans ses trois pièces remplies de meubles, souvenirs des jours passés, elle restait assise près de la fenêtre et regardait les branches de l'arbre nu qui frissonnaient dans le vent ; les oiseaux qui cherchaient de la nourriture dans le sol nu et glacé ; les passants qui marchaient le dos tourné au vent et le monde entier qui lui tournait le dos à elle. En hiver, la haine de chacun apparaissait à nu si vous regardiez bien. Elle voyait la haine dans les glaçons qui pendaient de sa fenêtre ; elle la voyait dans la boue sale des rues ; elle l'entendait dans la grêle qui égratignait les fenêtres et vous mordait le visage ; elle la voyait dans les visages baissés des gens qui se pressaient de rentrer dans leur maison chaude... oui, leurs têtes étaient baissées pour ne pas la voir, elle Ada et Ada se frappait la poitrine et s'arrachait les cheveux et suppliait le dieu Jéhovah d'avoir pitié et d'être miséricordieux (...)"

1 commentaire:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
    +++++++++++++++++++++++++++++++

    A mon avis, c'est tous des personnages du même quartier de Brooklyn.
    On en sort toujours groggy d'un livre de Selby, je trouve ; l'étourdissement après le KO...

    Commentaire n°1 posté par Zorglub le 07/11/2008 à 15h37

    RépondreSupprimer

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...

Articles les plus consultés cette semaine