23 novembre 2009

William S. BURROUGHS : Junky

Que ce soit 10/18 ou Folio, les éditeurs n'y vont pas de main morte s'agissant des ouvrages de William Burroughs. Tous ont droit à la demi-jaquette publicitaire (dont le nom m'échappe) tape à l’œil : "CULTE!". Rien que ça. Il faut dire que les auteurs de la "Beat Generation" ont toujours le vent en poupe de nos jours, alors forcément, s'agissant d'un de ses auteurs majeurs, l'argument de vente s'impose...

Sauf que, me concernant et pour ce que j'en connais, la "Beat Generation" - ce mouvement littéraire d'après guerre épris de libertés de tout ordre - ne représente pas la panacée dans la littérature américaine du XXème siècle. J'entretiens même avec ses auteurs un ambivalent sentiment mêlant curiosité et indifférence. Curiosité pour l'intérêt que ses œuvres ont suscité en leur temps et la volonté d'affranchissement que manifestaient ses auteurs vis à vis des codes imposés par la littérature classique de l'époque, et indifférence pour les moyens mis en œuvre (stylistiquement notamment) et les thèmes de prédilection de cette génération d'écrivains, notamment la musique bebop (chère à Kerouac), la frime et la drogue (chère à tout ce petit monde).

Avec un titre pareil, forcément, le premier roman de Burroughs n'était à priori pas franchement fait pour moi. Et le fait est qu'il n'y parle pour ainsi dire que de came, mais je tenais à découvrir cet auteur dit culte pour savoir de quoi il retournait, et d'autre part, il s'agit probablement du roman le plus lisible de son œuvre, Le festin nu me paraissant - de réputation - assez... difficile d'accès, dirons-nous.

Stylistiquement, Junky se veut effectivement tout ce qu'il y a de plus sobre, Burroughs raconte ses années de dépendance à la morphine puis à l'héroïne dans un style simple et dépouillé, bien éloigné de ses considérations futures. Pour appuyer ses convictions, l'auteur y va d'arguments péremptoires à tout va, et c'est à mon avis la principale faiblesse du roman. Ainsi, Burroughs martèle ses vérités, qu'on ne devient pas dépendant à la came dès les premières injections, que la cocaïne n'engendre aucune dépendance, que ceci, que cela, etc... Bref, je suis ignare en la matière, mais toutes ces vérités me semblent quand même un minimum contestables, au moins sur la portée universelle dont les enrobe Burroughs. Mais là n'est pas vraiment le sujet, ni même l'intérêt de ce roman, qui n'en est pas dépourvu.

L'aspect sociologique de ce récit en est la principale richesse, il donne un éclairage sur la politique menée dans les années d'après guerre aux États-Unis à l'encontre de la drogue et des drogués, ou du moins, sur la manière dont Burroughs l'a interprétée (ses propos sont corroborés par le point de vue de son ami Allen Ginsberg dans la préface du livre, qui cite même des références bibliographiques attestant ses propos). Politique ultra-répressive d'un gouvernement dépassé par les évènements et en proie à la panique de voir ses valeurs morales s'envoler dans un délirium tremens collectif, confiée à des services de police dont la probité semblait toute relative.

Autre singularité de ce livre, le regard méprisant de Burroughs sur la communauté homosexuelle de l'époque - ce qui peut sembler paradoxal de la part d'un écrivain lui-même homosexuel - dont il fustige le comportement social plein de préciosité, d'artifices, et de vide.

Pour conclure avec la réputation sulfureuse de Burroughs et le scandale qui accompagna la première publication de Junky, elle me semble s'être bien étiolée avec le temps. L'auteur reste notamment tout ce qu'il y a de plus sage avec le tabou américain ultime, sa sexualité est à peine évoquée, ou avec une pudeur extrême. Tout comme le meurtre (accidentel) de sa femme quelques années plus tôt, que ce roman autobiographique élude totalement. Les lecteurs en quête de scandales en seront pour leurs frais, mieux vaut les prévenir.

1 commentaire:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
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    Dure, la critique !

    Commentaire n°1 posté par Zorglub le 23/11/2009 à 18h28

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    Depuis que j'ai lu ton commentaire, je ne sais pas si je vais lire le livre.
    J'ai toujours entendu parler de ce bouquin, dont jamais appris l'existence quand j'ai commencé à m'intéresser à Bowie et ses inspirations littéraires. On y trouvait en l'occurrence ce bouquin. Depuis le temps, je ne l'avais pas encore lu.
    J'en ai également toujours entendu parler comme d'un livre Culte. Le problème dans ces cas là, c'est que 40, 50 ans après sa parution, on attend d'un livre qu'il soit culte à nos yeux. Certains, c'est possible. D'autres ne peuvent être cultes qu'à un moment.

    Commentaire n°2 posté par Messaline le 07/03/2010 à 16h50

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    Le terme "culte" me dérange toujours, on ferait avaler n'importe quoi sous cette étiquette batardo-branchouille. Les gens ont généralement de mauvaises raisons de se pâmer en choeur devant une oeuvre. Dans le cas de ce bouquin, il a sans doute suffi de faits étrangers au livre comme l'anecdote que tu cites ou la vie sulfureuse de son auteur. Mais que ça ne te décourage pas à le lire, je ne le trouve d'ailleurs pas inintéressant, malgré mes réserves.

    Réponse de Hank le 24/03/2010 à 22h04

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    Un mot sur les drogues. La cocaïne ne provoque pas de dépendance physique (comme c'est le cas par exemple pour le cannabis) mais elle provoque une dépendance psychique, c'est la raison pour laquelle on ne devient pas dépendant dès les premières prises mais que c'est une dépendance qui s'installe très progressivement dans le temps. Compte tenu du type de dépendance Burrough n'a pas tord de considérer que cette drogue ne rend pas dépendant au sens où on l'entend (contrairement aussi au tabac).
    Je veux bien qu'on critique le livre sur ce point mais la moindre des choses aurait été d'aller justement vérifier les infos sur le sujet après lecture, sinon ça ne sert pas à grand chose ^^

    Commentaire n°3 posté par Nicolas le 20/10/2010 à 18h15

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    Hank77, pour avoir lu également ton article sur Jack Kerouac et tes critiques, je pense que tu n'as tout simplement pas saisi la Beat Generation et ses écrivains. Personne n'a parlé de "frime" je ne sais pas où tu as été cherché ça. Tes a prioris et ton incompréhension face à ce mouvement littéraire t'empêcheront toujours de l'apprécier je pense.

    Commentaire n°4 posté par Amy Thompson le 20/02/2011 à 16h19

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    Bonjour Amy,

    Je suis d'accord avec toi, je ne comprends pas grand chose à cette génération d'écrivains, pour la simple raison que leur vision du monde et de la vie ne trouve aucun écho en moi. Peut-être pourras-tu m'éclairer un peu sur le sujet ?

    Tu m'accorderas quand même le droit de ressentir une tendance frimeuse dans les écrits de Kerouac et Burroughs sans qu'ils n'aient à le revendiquer. La frime - ou peut-être aurais-je dû parler d'une fatuité exacerbée ? - se démontre généralement plus qu'elle ne s'affirme. On ne s'autoproclame pas "cool", on cherche à le paraitre. Et c'est cette quête que je ressens dans les écrits de cette génération d'écrivains. Peut-être à tort, en attendant, je la ressens.

    Je pense effectivement que je ne comprendrais jamais la Beat Generation. En tout cas, elle ne me touchera jamais, c'est à peu près certain.

    Commentaire n°5 posté par Hank le 21/02/2011 à 10h13

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