8 juin 2012

Raymond GUÉRIN : Humeurs

Raymond Guérin (1905-1955) fait partie de ces grands oubliés de la littérature française de la première moitié du 20ème siècle, au même titre que son ami Henri Calet ou Georges Hyvernaud. Auteur de nombreux romans (dont le plus connu – ou plutôt le moins oublié – reste « Les poulpes »), l'écrivain fut également, vers la fin de sa courte vie, le chroniqueur d'une jeune revue littéraire : La Parisienne. C'est à cette fraction de son œuvre que le recueil « Humeurs » est consacré.

Très librement, Guérin se laissait aller chaque mois à un passage en revue à la fois amer, intransigeant et la plupart du temps extrêmement clairvoyant de son époque et du travail de ses pairs. Témoin à l'aube des années 50 d'un basculement dont nous vivons aujourd'hui le triste achèvement, Guérin dénonce l'indigence des livres qui font l'actualité de son temps, sans épargner la critique qui n'en est déjà plus une et se contente de se pâmer devant la première nouveauté venue, pourvu qu'il soit bien vu – ou utile – de l'encenser. Les livres primés sont une cible privilégiée de Guérin, il ne voit dans l'attribution de ces prix que récompense et sanctification du conformisme le plus infamant, et il suffit de consulter l'historique des livres primés pour juger du bien-fondé de son opinion.

En lecteur exigeant, Raymond Guérin estime ainsi prématuré de crier au génie lorsque l’œuvre romanesque de Camus se résume encore à « L'étranger ». Dans une langue parfaitement maitrisée, avec un rien de pédanterie, et un trait d'humour pas forcément prémédité, l'écrivain théorise sur le sens de la littérature et distribue les bons et surtout les mauvais points ; et il est heureux que la part belle soit donnée à ces derniers, car c'est bien dans l'éreintement et le dégonflage de baudruches que l'écrivain brille avec le plus d'éclat. A l'inverse, lorsqu'il se laisse séduire, son propos devient plus ennuyeux ; l'éloge, bien qu'exprimé sincèrement, n'est manifestement pas dans sa nature (sa critique enthousiaste de l’œuvre de Katherine Mansfield laisse par exemple dubitatif).

Mais il reste heureusement bien des plaisirs à lire ces chroniques de Raymond Guérin, car même si le propos a tendance à se répéter au fil des pages, qui hormis Céline, eut suffisamment de témérité pour dire ses quatre vérités à ce public malléable et sclérosé dans sa conception horripilante du « beau livre » ? Ils sont bien rares, hélas.

« (…) Tout se passe, en effet, pour le lecteur, comme si la lecture réveillait à chaque instant en lui le problème du Bien et du Mal. Fidèle à sa conscience ou en état de rébellion contre, de tradition religieuse ou pas, le lecteur n'est guère disposé à encaisser des vérités trop cruelles pour son amour propre (à moins que l'auteur n'ait la suprême adresse de faire en sorte que son discours paraisse s'attaquer uniquement à autrui et que son lecteur se voie par lui appelé au rôle privilégié de confident ou même de complice). Ce lecteur n'est pas non plus disposé à se voir pris à partie, requis d'observer une plus juste préhension de ses fautes, invité à battre sa coulpe. Récapitulons : le lecteur répugne à lire des ouvrages à la lumière desquels il ne puisse garder bonne opinion de lui-même. Il en découle ceci : c'est qu'il se produit inévitablement une sorte de compromis entre lui et les auteurs, une piperie tacite à base d'hypocrisie. (...) »

2 commentaires:

  1. Auteur que j'ai découvert au début des années 80; à l'occasion d'une représentation théatrale; c'était bien fichu, si bien que je me suis intéressé à l'auteur... "Les poulpes" / "Parmis tant d'autre feux"/"La peau dure" etc.
    Merci d'annimer la toile !

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  2. Merci à vous pour ce billet. A signaler que l’Apprenti est désormais disponible en version numérique chez nos amis québécois, libre de droit chez eux (site EbooksGratuits), relu et corrigé soigneusement par votre serviteur.

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