25 janvier 2013

Frantz FUNCK-BRENTANO : Ce qu'était un roi de France

La propagande révolutionnaire et plus de deux siècles construits sur ce socle bien tassé font que, depuis longtemps, plus personne en France ne sait exactement ce qu'était un roi de France, pas plus que comment ces rois étaient considérés par leurs sujets, nos ancêtres.

Avec la partialité manifeste due à ses idées monarchistes clairement revendiquées, mais fort aussi de toute l'érudition qui le caractérisait, l'historien Frantz Funck-Brentano tentait, en 1940, de soigner les Français de leur amnésie. Il poursuivait ainsi l’œuvre de contre-propagande à laquelle se livraient depuis la fin du XIXe siècle les membres de l'Action Française visant à restaurer l'idée monarchique, présentant un tableau sans doute trop peu contrasté pour être parfaitement fidèle à la réalité, mais dont on ne saurait pour autant réfuter les éléments sous le prétexte facile de leur probable sélectivité.

D'abord parce que ce livre est tout sauf l’œuvre d'un hurluberlu ; Frantz Funck-Brentano (1862-1947) était un historien reconnu, spécialiste de l'Ancien Régime, diplômé de l'École des chartes, conservateur à la Bibliothèque de l'Arsenal (ayant par ses fonctions accès à de précieuses archives), membre de l'Institut (plus précisément de l'Académie des sciences morales et politiques), honoré de surcroît en 1905 du titre de chevalier de la Légion d'Honneur (ce qui, à l'époque, était autrement plus respectable qu'aujourd'hui) ; autant dire que l'homme avait une certaine autorité intellectuelle et morale lorsque ce livre fut publié quelques années avant sa mort.

Que cette étude de la royauté soit toutefois orientée par les idées politiques de son auteur, cela ne fait guère de doute. Funck-Brentano ne rate pas une occasion d'exprimer son mépris des idées révolutionnaires et plus encore de ses instigateurs, concluant un certain nombre de ses chapitres en opposant les bienfaits de la royauté aux dommages irréversibles faits à la France durant la Révolution.

Mais pour en revenir aux rois de France, et plus précisément à la dynastie capétienne à laquelle ce livre est spécifiquement consacré, Frantz Funck-Brentano avance un grand nombre de faits peu connus du plus grand nombre (me semble-t-il), sur les usages de la royauté, ou ses origines.

Dans les premiers chapitres, l'historien rappelle que la famille est le modèle à l'origine de l'organisation de la société monarchique. Dans des périodes troubles et violentes, la société s'organise en communauté pour se protéger, la famille - familia - désigne petit à petit une communauté de plus en plus élargie, aux liens de plus en plus lointains. En vieux français, on l'appelle la « mesnie », et celle-ci est protégée et placée sous l'autorité d'un patriarche.

De là la notion de Patrie – la terre paternelle – et le paternalisme dont le roi, jusque dans les dernières heures de la royauté, fait preuve à l'égard de ses sujets. Qu'ils se nomment saint Louis, Philippe Auguste, Louis XIV ou Louis XV, les propos ne varient pas depuis le Xe siècle jusqu'à la Révolution ainsi que l'illustre Funck-Brentano à travers plusieurs citations :

De saint Louis s'adressant à son fils, Philippe III : « Cher fils, s'il avient que tu viennes à régner, pourvois que tu aies ce qui à roi appartient, c'est-à-dire que tu sois juste, que tu ne déclines ni ne dévies de justice pour nulle chose qui puisse avenir. S'il vient devant toi querelle qui soit mue entre riche et pauvre soutiens plus le pauvre que le riche, et quand tu entendras la vérité, si leur fais droit. » (p.69)

« (…) Au début du XIIIe siècle, Philippe Auguste mourant disait à son fils Louis VIII :
« Fais bonne justice au peuple et surtout protège les pauvres et les petits. » (...) » (p.87)

Louis XV : « Les mérites de saint Louis s'étendent à ses descendants et nul roi de sa race ne peut être damné pourvu qu'il ne se permette ni injustice envers ses sujets ni dureté envers les petites gens. » (p.87)

La justice, nous explique l'historien, occupe une place centrale dans les fonctions royales. En l'absence de textes législatifs, les sujets de toutes conditions s'en remettent à l'autorité du roi pour les dépêtrer dans leurs conflits personnels ; et si, devant le poids que prendra cette charge avec le temps et le développement du royaume, si donc le roi se fait petit à petit assister dans ces fonctions, cette charge reste honorée personnellement par le roi au moins jusqu'à Louis XIV, au jugement duquel ses sujets recouraient encore en lui adressant des placets.

« (…) Au seuil des temps modernes, les transformations qui se sont opérées dans le cours des siècles, la multiplication et la plus grande facilité des moyens de transport, le puissant développement d'une ville comme Paris ont amené autour de la résidence royale un public si nombreux qu'un Louis XIII, un Louis XIV n'auraient plus pu donner audience, comme saint Louis ou Louis XI à tous ceux de leurs sujets qui seraient venus dérouler devant eux leurs querelles particulières ; cependant Louis XIII encore, tous les dimanches et jours de fête à l'issue de la messe, Louis XIV régulièrement chaque semaine, recevaient ceux qui se présentaient à eux et les plus pauvres, les plus mal vêtus. Les princes du sang de séjour à la Cour se groupaient autour du roi : les bonnes gens passaient devant lui à la queue le leu et lui remettaient en propres mains un placet où leur affaire était exposée. Ces placets étaient déposés par le monarque sur une table à sa portée, puis examinés par lui en séance du Conseil, ainsi qu'en témoigne la mention « lu au roi » que portent ceux d'entre eux qui sont demeurés dans nos archives, car le plus grand nombre étaient rendus à leurs auteurs avec « réponse au pied ». (...) » (pp.74-75)

Cette autorité morale, comme nous le dit Funck-Brentano, va de paire avec l'incarnation paternelle du roi vis à vis de ses sujets. Autorité qui s'étend à bien d'autres domaines que la justice. Ainsi, les mariages – plus particulièrement dans la noblesse, mais pas seulement – nécessitent-ils le consentement du roi pour se conclure.

Un cliché très largement répandu nous présente un roi isolé de son peuple, enfermé dans son château. D'après l'auteur de « Ce qu'était un roi de France », rien ne semble plus faux que cette image, qui correspond manifestement aux monarchies étrangères, mais en rien aux traditions françaises ; les palais royaux, du Louvre à Versailles, étaient aussi libres d'accès à quiconque que le proverbial moulin. Citant anecdotes, faits divers et propos de visiteurs étrangers sidérés par cette promiscuité entre le roi et son peuple, Frantz Funck-Brentano fait au fil des pages un portrait pour le moins singulier du monarque à la française.

« (…) La maison du prince devenait une place publique. On imagine la difficulté d'y maintenir l'ordre et la propreté. Du matin au soir s'y pressait une cohue turbulente, bruyante, composée de gens de toutes sortes. Les dessous des escaliers, les balcons, les tambours des portes semblaient lieux propices à satisfaire les besoins de la nature. Les couloirs des châteaux du Louvre, de Saint-Germain, de Fontainebleau, en devenaient des sentines. Pour entrer chez la reine, les dames relevaient leurs jupes. Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, le Louvre est signalé pour ses odeurs et « mille puanteurs insupportables ».
Étrange contraste avec la splendeur des appartements : une des raisons qui motivaient ces incessants déplacements de la Cour qui lui sont de nos jours tant reprochés rapport à la dépense. En l'absence de leurs hôtes on aérait les chambres, on les désinfectait, on les parfumait en y brûlant du bois de genièvre. (...) » (p.116)

Ce livre regorge de ces sortes de détails qui étonnent le lecteur contemporain, et s'il est évident que la monarchie y est présentée sous ses plus charmants attributs, il n'en reste pas moins que les éléments présentés et accrédités par l'érudition de Frantz Funck-Brentano forment une réalité, fût-elle partielle, de ce que furent aussi, en dépit de tout ce qui leur est reproché, les rois de France.

« (…) Après cinq siècles de monarchie, les États généraux de 1484 estimeront encore que les propriétés du roi doivent lui suffire à lui et à toutes sa maison, voire aux dépenses publiques. Aux yeux du peuple, l'impôt n'est toujours qu'un recours momentané, une aide, pour reprendre l'expression consacrée. Aussi, jusqu'aux deux derniers siècles de la monarchie, appellera-t-on « finances ordinaires » les produits du domaine royal et « finances extraordinaires » le produit des impôts. » (p.56)

« Quant au pouvoir législatif, il n'existe pas. Un père ne légifère pas dans sa famille. « Si veut le père, si veut la loi. » Comme un père parmi ses enfants, le roi est parmi ses sujets la loi vivante. Les ordonnances du roi en son Conseil quand elles entrent dans les moeurs deviennent coutumières, mais les coutumes leur sont-elles contraires, elles s'évaporent comme brume à la lumière du jour.
Au XVIIe siècle encore Pascal et Domat pourront dire : « la coutume, c'est la loi ». Et les Capétiens ne légiféreront plus jusqu'à la Révolution. On sait la célèbre réflexion de Mirabeau : « La place que la notion de loi doit occuper dans l'esprit humain était vacante dans l'esprit des Français. » Après 1789 seulement, quand le régime patronal aura été détruit, on reverra dans notre pays ce qu'on n'avait pas vu depuis le IX e siècle, depuis les derniers Carolingiens, une autorité législative.(...) » (pp.56-57)

« (…) Ainsi le monarque a-t-il le devoir de veiller sur les intérêts particuliers de ses sujets comme un père sur ceux de ses enfants.
Les lois somptuaires s'inspirent du même esprit. Elles apparaissent dès le XIIe siècle pour se renouveler jusqu'au XVIIIe.
Le roi, après avoir pris en considération la fortune de ses sujets, ne veut pas, en bon père de famille, qu'ils mènent un train de vie hors de proportion avec leurs moyens. En 1279, Philippe le Hardi décrète que les bourgeois ne porteront vair ni gris, qu'ils n'auront rênes ni éperons dorés s'ils n'ont plus de mille livres vaillant. Il fixe au prorata des fortunes le nombre de robes que les femmes sont autorisées à pendre dans leur garde-robe. L'ordonnance somptuaire édictée par Philippe le Bel en 1294 est parfois citée en exemple d'un « autoritarisme effrayant ». Elle répondait aux idées et aux traditions de l'époque. Philippe le Bel règle le nombre et la qualité des vêtements que pourront faire faire ses sujets d'après les ressources de chacun d'eux ; il fixe le nombre de plats qui seront servis à leur table, les gages de leurs domestiques, la nature et la qualité de leurs équipages. (...) » (pp.171-172)

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