1 octobre 2010

Henry MILLER : Tropique du Cancer

Ma relation à l’œuvre de Henry Miller est très ambiguë et contrastée. Un paradoxe fait d'attraction et de répulsion. Il y a deux étés, après une longue période d'hésitation, débarrassé du plus gros de mes préjugés, je me décidais à le lire. Et le choc fut rapide. A peine Miller attaquait  la profession de foi qui fait office de préambule à Tropique du Cancer - où il définit sa démarche littéraire - que j'avais déjà l'impression de tomber sur un écrivain majeur, un écrivain en avance d'au moins une génération, et qui ne cherchait pas à ménager sa monture. Qui appelait un chat un chat. Et qui se faisait un devoir de piétiner les tabous, pour nourrir sa littérature. Un génie d'une certaine façon, mais qui hélas cherchait parfois un peu trop à le démontrer...
 
Miller a écrit ce roman au début des années 30, durant la période où il vivait à Paris, Villa Seurat, dans le 14ème arrondissement. C'est un roman typiquement autobiographique, qui ne cherche pas à raconter une histoire mais à partager une expérience et à explorer son intimité et ce qui l'entoure. Miller ne nous épargne pas grand-chose. Ses réflexions peuvent autant traiter du charme des pissotières parisiennes (si je ne mélange pas mes lectures) que du sens à donner à sa littérature. On le suit partout, des hôtels de passes parisiens où il ne nous épargne pas trop de détails (ce qui lui vaudra une censure aux États-Unis durant de nombreuses années), à son petit calvaire hivernal dans un lycée dijonnais où Miller se fait employer comme assistant. Au milieu du concret, Miller développe des passages plus abstraits, au lyrisme un peu déroutant. Souvent abscons, même. Qui personnellement me déroute, du moins. Pour avoir lu d'autres romans de l'américain depuis, c'est une caractéristique de son style qui aura tendance à se développer au fil de son œuvre. J'avoue : je suis complètement réfractaire à ces passages qui, en se voulant manifestement littéraires et poétiques, nuisent selon moi à l'authenticité du récit, et à la crédibilité de Miller en tant qu'écrivain du réel, adepte d'une sincérité sans détour. Mais là, j'aurais tendance à projeter sur l'écrivain une image qu'il n'a sans doute jamais voulu se donner.
 
Heureusement, dans le dosage appliqué à Tropique du Cancer, ces passages sont digestes (ce qui ne sera plus trop le cas du recueil de nouvelles Printemps noir). Ce premier volet du triptyque composé de Printemps noir et Tropique du Capricorne reste un ouvrage incontournable de la littérature du 20ème siècle. En bousculant les conventions, Miller a contribué à ouvrir des brèches. A sa manière, Miller s'inscrivait dans la lignée d'un Céline (leur vision pessimiste du monde n'est pas si éloignée) et ouvrait la voie à Bukowski. De ce point de vue, on pourra s'interroger sur le rejet de ce dernier pour l’œuvre de Miller. Un rejet toutefois nuancé, Bukowski se contredisant d'un texte à l'autre évoquant Miller. Et finalement, avec un peu de recul et quelques lectures au compteur, je comprends mieux son indécision. Je la partage même. Mais entre l'attraction et la répulsion, l'attraction domine encore. Pour l'instant.

1 commentaire:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
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    Je n'ai jamais accroché ! je trouve qu'il tire à la ligne... il faudra que je m'y remets un jour.

    Commentaire n°1 posté par Zorglub le 02/10/2010 à 14h25

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    C'est vrai qu'il est du genre assez bavard, la plupart de ses bouquins sont assez volumineux, mais je trouve qu'il sort des choses intéressantes de ses digressions parfois assez tortueuses. Enfin il est très ambivalent, parfois très clair et très direct, et d'autres fois très obscur.

    Un des thèmes récurrents chez Miller qui m'intéresse beaucoup, c'est son rejet de la modernité. Pour lui, les évolutions technologiques sont une régression pour l'homme. Quand je vois le comportement des gens avec ne serait-ce que leurs téléphones portables, je me dis qu'il avait plutôt vu juste. L'homo-modernus me parait avoir chuté de quelques étages au fil des décennies.

    Réponse de Hank le 02/10/2010 à 21h17

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    Je ne suis pas pour le tout-technologique, mais étant dans l'informatique, je me vois mal craché dessus !

    Commentaire n°2 posté par Zorglub le 03/10/2010 à 09h23

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    C'est difficile de rejeter la modernité en bloc. Moi je m'interroge, et en même temps je ne me vois pas (plus) tellement aller vivre dans une cabane au fond des bois (ce serait assez cocasse de tenir un discours intégriste rétrograde sur un blog). Mais au fil des années, on nous soumet à des besoins nouveaux, et le problème à mon avis est là. Que la technologie rende plus accessibles les besoins essentiels de l'homme, c'est pas forcément un mal à partir du moment où elle reste à sa place (un moyen et pas une fin), mais qu'elle l'englue dans un tas de dépendances complètement abrutissantes, c'est autre chose. Parfois je me demande quand va arriver la machine à baiser de Bukowski. Ca sera l'aboutissement ultime, on n'aura même plus à se faire chier les uns avec les autres.

    Réponse de Hank le 03/10/2010 à 10h08

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    Je pense que Miller est plus profond que Bukowski. Et ce qui le differencie de Celine et de Buk, c'est qu'au fond, il y a toujours de l'espoir dans ses oeuvres. Comme il l'a dit : "Mes crucifixions ont toujours ete des crucifixions en rose". Par ailleurs, la trilogie "Sexus, Nexus, Plexus" est plus interessante, plus essentielle que "Les Tropiques" a mon avis.

    Commentaire n°3 posté par FRED V le 06/04/2011 à 13h32

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