6 octobre 2010

Premières lignes : Journal d'un vieux dégueulasse de CHARLES BUKOWSKI


« il y avait un fils de pute qui ne voulait pas les lâcher, tandis que les autres gueulaient qu'ils étaient raides, la partie de poker était terminée, j'étais sur ma chaise avec mon pote Elf à mes côtés, en voilà un qui a mal démarré dans l'existence, enfant il était tout malingre, des années durant il a dû garder le lit passant le plus clair de son temps à malaxer des balles de caoutchouc, le genre de rééducation complètement absurde, et quand, un jour, il a émergé de son pieu, il était aussi large que haut, une masse musculeuse rigolarde qui n'avait qu'un but : devenir écrivain, hélas pour lui son style ressemble trop à celui de Thomas Wolfe qui est, si l'on excepte Dreiser, le plus mauvais écrivain américain de tous les temps, moyennant quoi j'ai frappé Elf derrière l'oreille, si fort que la bouteille m'a échappé (il avait dit quelque chose qui m'avait déplu), mais quand il s'est redressé, j'ai récupéré la bouteille, du bon scotch, et je lui en ai remis un coup quelque part entre la mâchoire et la pomme d'Adam, de nouveau il a mangé la table, je dominais le monde, moi l'émule de Dostoïevski qui écoute du Mahler à la nuit tombée, de sorte que j'ai eu le temps de m'en jeter un à même le goulot, de reposer la bouteille, avant de lancer ma droite pour le sécher de la gauche juste en dessous de la ceinture, pour le coup il s'est lourdement affaissé contre la commode, le miroir s'est brisé, un bruit de cinéma, éclair et fracas, sauf que tout de suite après Elf m'a allongé un foudroyant uppercut dans le front et j'ai dégringolé de ma chaise, laquelle n'était pas plus solide qu'un fétu de paille, du mobilier de fauché, j'ajoute qu'une fois à terre j'ai été particulièrement nul - je moulinais dans le vide, sans doute parce que je ne suis pas doué pour la bagarre, l'aurais-je d'ailleurs été qu'il ne serait pas revenu à la charge -, toujours est-il qu'il avait tout maintenant du vengeur déjanté, et que pour un coup de poing il m'en rendait trois, guère meilleurs que les miens mais enfin, en sorte qu'au lieu de s'arrêter il a forcé la note, et le reste des meubles a bruyamment rendu l'âme, longtemps pourtant j'ai conservé l'espoir que quelqu'un - la propriétaire, la police, Dieu, n'importe qui - arrêterait ce jeu de massacre, mais pas du tout, ça a continué, continué, jusqu'à ce que je ferme les yeux. (...) »
 
Charles Bukowski, incipit de la première nouvelle du Journal d'un vieux dégueulasse (1969) ; nouvelle édition Les Cahiers Rouges Grasset (2010) ; traduction (revue et corrigée ??) de Gérard Guégan.

2 commentaires:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
    +++++++++++++++++++++++++++++++

    y'a vraiment une difference par rapport à l'ancienne version ???

    Commentaire n°1 posté par Zorglub le 07/10/2010 à 08h21

    +++++++++++++++++++++++++++++++

    Je peux pas vérifier, j'ai pas encore récupéré mes bouquins et l'autre version est dans un de ces cartons. Après, ce qui m'étonne, c'est que la révision du texte n'est pas mise en évidence dans le bouquin (pour tout dire, en le feuilletant, je ne l'ai trouvée nulle part). La seule chose, c'est que apparemment, il y a plus de pages, mais le texte n'est sans doute pas disposé de la même manière. Sur le site de Grasset, ils annonçaient un texte intégral (faut croire qu'il avait été amputé jusque là). Enfin j'en sais rien, ça sent un peu l'attrape nigaud leur truc, et j'en suis un beau, enfin un demi nigaud, j'ai attendu de le trouver en occasion.

    Réponse de Hank le 07/10/2010 à 09h18

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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