5 octobre 2010

John FANTE : La route de Los Angeles

Les histoires de John Fante ont quelque chose d'indélébile. On a beau les avoir lues depuis des mois et parfois - c'est le cas ici - quelques années, il en reste toujours quelque chose d'assez précis. Cette qualité plutôt rare, signe d'un sens de la narration surdéveloppé, les éditeurs sont passés à côté en 1933, date à laquelle John Fante a écrit et proposé le manuscrit de La route de Los Angeles. Il faudra attendre une cinquantaine d'années, et la mort de son auteur, pour constater la qualité de ce tout premier roman, écrit quelques années avant le classique de son œuvre : Demande à la poussière.
 
La route de Los Angeles est un peu différent des autres romans d'enfance et d'adolescence de Fante. Celui-ci est marqué par l'absence du père. La structure familiale dans laquelle évolue Arturo Bandini est resserrée autour de sa mère,  une unique sœur, et parfois un oncle qui cherche vaguement et mollement à contenir les élans incongrus de son neveu. Car ce Arturo Bandini n'est pas tellement différent de celui de Demande à la poussière : orgueilleux, mégalomane, prétentieux. Bandini a beau être entouré de sa famille, il est un peu seul au monde. Heurté par les moqueries de sa sœur, par l'incompréhension de sa mère, et par l'indifférence des gens, le seul endroit où Bandini se sente à son aise est ce placard à balais - son bureau - dans lequel il se réfugie pour rêvasser à la gloire qui lui est due, et aux aventures avec ses femmes de papier qu'il collecte dans les magazines. Fante usait déjà de son sens de l'autodérision en dépeignant ce jeune écrivain raté mais sûr de son talent, incapable de pondre une ligne qui ne fasse se gausser par son insignifiance et sa prétention. La moquerie à son endroit était d'autant plus cinglante qu'à l'époque où Fante écrivait ce livre, son œuvre était à faire et son talent à prouver.
 
Je lisais récemment une comparaison entre ce Bandini et Ignatius Reilly de La conjuration des imbéciles. D'une certaine manière, il y a bien quelques points communs entre ces deux personnages. Tous deux travaillent à une œuvre littéraire qu'ils estiment colossale et immortelle, et tous deux ne semblent pas avoir la moindre chance de s'imposer dans ce monde contre lequel ils sont terriblement désarmés. Dans La route de Los Angeles, Bandini se frotte lui aussi à l'étroitesse d'esprit et de perspectives du prolétariat. Contraint et forcé, il goûte à l'âpre monde du travail, dans les conserveries de poisson où toute tâche est une insulte à son génie, au milieu d'une main d’œuvre essentiellement mexicaine. Son sentiment de supériorité et ses rêves démesurés se heurtent à l'incompréhension de ces gens conditionnés pour raser les murs et ne surtout pas penser. En ce sens donc, il y a bien quelques traits communs entre Bandini et Ignatius, mais la comparaison s'arrête là, car les univers de Fante et Toole sont différents, Fante n'use pas autant de la démesure, son alter-ego reste à dimension humaine, il n'est même pas interdit de s'identifier à lui dans certaines de ses réactions, à la lumière de ses faiblesses. La route de Los Angeles est un roman dont il aurait été bien triste de se passer. Un premier roman qui ouvrait la porte à une œuvre qui, pour le coup, a un parfum d'immortalité.

1 commentaire:

  1. ANCIENS COMMENTAIRES (OVERBLOG)
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    Je ne vois pas du tout Arturo Bandini comme un heros pretentieux, megalomane, insignifiant. Pour moi, c'est le vrai double de Fante. Il se sent different de son entourage, et il l'est effectivement ( sa sensibilite, son exuberance, ses lectures ) et il veut le faire reconnaitre. Quoi de plus naturel ? Non seulement je n'ai pas de mal a m'identifier avec lui, mais je suis en pleine empathie. On voit bien qu'il est incapable de developper ses intuitions, mais apres tout Fante ne les a jamais developpees et il n'en est pas moins un grand ecrivain. Nul besoin de longues dissertations metaphysiques a la Thomas Mann, de considerations sociologiques a la Balzac pour Fante, parce qu'il avait son genie propre, et qu'il a approfondi selon son originalite. So what ? ArturoBandini est meme, je crois, le heros qui m'est le plus sympathique parmi tous les heros de roman. Il n'est pas un anti heros a mes yeux, comme Bardamu n'est pas un anti heros, a moins de n'avoir d'admiration que pour les brutes monolithiques a la John Wayne!!! Il est un personnage dont l'individualite est prononcee, et cela seul a de la valeur pour moi. Quand je lis parfois, dans d'autres critiques, que Arturo Bandini est exasperant !!! Il est l'etre le plus sympathique que je connaisse.

    Commentaire n°1 posté par FRED V le 09/04/2011 à 00h26

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    Pour moi, c'est justement le regard de Fante sur lui-même à travers cet alter ego mégalomane qui le rend si intéressant. Et à mes yeux, ce côté mégalo n'interdit pas du tout de le trouver sympathique, au contraire.

    Réponse de Hank le 13/04/2011 à 13h26

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